37603.fb2
ramener à la vérité et de le guérir au lieu d'encourager son délire.
Venez, partons; je tremble que le jour ne se lève et ne nous surprenne à
notre arrivée.
--Tu as raison, dit Albert en reprenant sa route. La sagesse parle par ta
bouche, Consuelo. Ma folie a été contagieuse pour cet infortuné, et il
était temps que tu vinsses-nous tirer de cet abîme où nous roulions tous
les deux. Guéri par toi, je tâcherai de guérir Zdenko.... Et si pourtant
je n'y réussis point, si sa démence met encore ta vie en péril, quoique
Zdenko soit un homme devant Dieu, et un ange dans sa tendresse pour moi,
quoiqu'il soit le seul véritable ami que j'aie eu jusqu'ici sur la
terre ... sois certaine, Consuelo, que je l'arracherai de mes entrailles
et que tu ne le reverras jamais.
--Assez, assez, Albert! murmura Consuelo, incapable après tant de frayeurs
de supporter une frayeur nouvelle. N'arrêtez pas votre pensée sur de
pareilles suppositions. J'aimerais mieux cent fois perdre la vie que de
mettre dans la vôtre une nécessité et un désespoir semblables.»
Albert ne l'écoutait point, et semblait égaré. Il oubliait de la soutenir,
et ne la voyait plus défaillir et se heurter à chaque pas. Il était
absorbé par l'idée des dangers qu'elle avait courus pour lui; et dans
sa terreur en se les retraçant, dans sa sollicitude ardente, dans sa
reconnaissance exaltée, il marchait rapidement, faisant retentir le
souterrain de ses exclamations entrecoupées, et la laissant se traîner
derrière lui avec des efforts de plus en plus pénibles.
Dans cette situation cruelle, Consuelo pensa à Zdenko, qui était derrière
elle, et qui pouvait revenir sur ses pas; au torrent, qu'il tenait
toujours pour ainsi dire dans sa main, et qu'il pouvait déchaîner encore
une fois au moment où elle remonterait le puits seule et privée du secours
d'Albert. Car celui-ci, en proie à une fantaisie nouvelle, semblait la
voir devant lui et suivre un fantôme trompeur, tandis qu'il l'abandonnait
dans les ténèbres. C'en était trop pour une femme, et pour Consuelo
elle-même. Cynabre marchait aussi vite que son maître, et fuyait emportant
le flambeau; Consuelo avait laissé le sien dans la cellule. Le chemin
faisait des angles nombreux, derrière lesquels la clarté disparaissait à
chaque instant. Consuelo heurta contre un de ces angles, tomba, et ne put
se relever. Le froid de la mort parcourut tous ses membres. Une dernière
appréhension se présenta rapidement à son esprit. Zdenko, pour cacher
l'escalier et l'issue de la citerne, avait probablement reçu l'ordre de
lâcher l'écluse après un temps déterminé. Lors même que la haine ne
l'inspirerait pas, il devait obéir par habitude à cette précaution
nécessaire. C'en est donc fait, pensa Consuelo en faisant de vaines
tentatives pour se traîner sur ses genoux. Je suis la proie d'un destin
impitoyable. Je ne sortirai plus de ce souterrain funeste; mes yeux ne
reverront plus la lumière du ciel.
Déjà un voile plus épais que celui des ténèbres extérieures s'étendait sur
sa vue, ses mains s'engourdissaient, et une apathie qui ressemblait au
dernier sommeil suspendait ses terreurs. Tout à coup elle se sent pressée
et soulevée dans des bras puissants, qui la saisissent et l'entraînent
vers la citerne. Un sein embrasé palpite contre le sien, et le réchauffe;
une voix amie et caressante lui adresse de tendres paroles; Cynabre bondit