37603.fb2
châtiment trop léger pour le mal qu'il avait causé, en se disant que
c'était un avertissement salutaire, et que Consuelo lui saurait gré
de le comprendre et de l'accepter.
Lorsqu'il s'assit à table, au milieu des caresses, des larmes de bonheur,
et des soins empressés de sa famille, il chercha des yeux avec anxiété
celle qui était devenue nécessaire à sa vie et à son repos. 11 vit sa
place vide, et n'osa demander pourquoi la Porporina ne descendait pas.
Cependant la chanoinesse, qui le voyait tourner la tête et tressaillir
chaque fois qu'on ouvrait les portes, crut devoir éloigner de lui toute
inquiétude en lui disant que leur jeune hôtesse avait mal dormi, qu'elle
se reposait, et souhaitait garder le lit une partie de la journée.
Albert comprit bien que sa libératrice devait être accablée de fatigue,
et néanmoins l'effroi se peignit sur son visage à cette nouvelle.
«Ma tante, dit-il, ne pouvant contenir plus longtemps son émotion, je
pense que si la fille adoptive du Porpora était sérieusement indisposée,
nous ne serions pas tous ici, occupés tranquillement à manger et à causer
autour d'une table.
--Rassurez-vous donc, Albert, dit Amélie en rougissant de dépit, la Nina
est occupée à rêver de vous, et à augurer votre retour qu'elle attend en
dormant, tandis que-nous le fêtons ici dans la joie.»
Albert devint pâle d'indignation, et lançant à sa cousine un regard
foudroyant:
«Si quelqu'un ici m'a attendu en dormant, dit-il, ce n'est pas la personne
que vous nommez qui doit en être remerciée; la fraîcheur de vos joues,
ma belle cousine, atteste que vous n'avez pas perdu en mon absence une
heure de sommeil, et que vous ne sauriez avoir en ce moment aucun besoin
de repos. Je vous en rends grâce de tout mon coeur; car il me serait
très-pénible de vous en demander pardon comme j'en demande pardon, avec
honte et douleur à tous les autres membres et amis de ma famille.
--Grand merci de l'exception, repartit Amélie, vermeille de colère: je
m'efforcerai de la mériter toujours, en gardant mes veilles et mes soucis
pour quelqu'un qui puisse m'en savoir gré, et ne pas s'en faire un jeu.»
Cette petite altercation, qui n'était pas nouvelle entre Albert et sa
fiancée, mais qui n'avait jamais été aussi vive de part et d'autre,
jeta, malgré tous les efforts qu'on fit pour en distraire Albert, de la
tristesse et de la contrainte sur le reste de la matinée. La chanoinesse
alla voir plusieurs fois sa malade, et la trouva toujours plus brûlante et
plus accablée. Amélie, que l'inquiétude d'Albert blessait comme une injure
personnelle, alla pleurer dans sa chambre. Le chapelain se prononça au
point de dire à la chanoinesse qu'il faudrait envoyer chercher un médecin
le soir, si la fièvre ne cédait pas. Le comte Christian retint son fils
auprès de lui, pour le distraire d'une sollicitude qu'il ne comprenait pas
et qu'il croyait encore maladive. Mais en l'enchaînant à ses côtés par
des paroles affectueuses, le bon vieillard ne sut pas trouver le moindre
sujet de conversation et d'épanchement avec cet esprit qu'il n'avait
jamais voulu sonder, dans la crainte d'être vaincu et dominé par une
raison supérieure à la sienne en matière de religion. Il est bien vrai
que le comte Christian appelait folie et révolte cette vive lumière qui
perçait au milieu des bizarreries d'Albert, et dont les faibles yeux d'un