37603.fb2
les plus délicats. Ces ruses triomphèrent de l'effroi d'Albert. Quoiqu'il
éprouvât une tristesse accablante et comme un pressentiment d'un malheur
inouï, il se soumit, et fit des efforts pour paraître calme.
Le soir, Wenceslawa vint, avec un air de satisfaction qui n'était presque
plus joué, dire que la Porporina était mieux; qu'elle n'avait plus le
teint animé, que son pouls était plutôt faible que plein, et qu'elle
passerait certainement une excellente nuit. «Pourquoi donc suis-je glacé
de terreur, malgré ces bonnes nouvelles?» pensa le jeune comte en prenant
congé de ses parents à l'heure accoutumée.
Le fait est que la bonne chanoinesse, qui, malgré sa maigreur et sa
difformité, n'avait jamais été malade de sa vie, n'entendait rien du tout
aux maladies des autres. Elle voyait Consuelo passer d'une rougeur
dévorante à une pâleur bleuâtre, son sang agité se congeler dans ses
artères, et sa poitrine, trop oppressée pour se soulever sous l'effort de
la respiration, paraître calme et immobile. Un instant elle l'avait crue
guérie, et avait annoncé cette nouvelle avec une confiance enfantine.
Mais le chapelain, qui en savait quelque peu davantage, voyait bien
Que ce repos apparent était l'avant-coureur d'une crise violente. Dès
qu'Albert se fut retiré, il avertit la chanoinesse que le moment était
venu d'envoyer chercher le médecin. Malheureusement la ville était
éloignée, la nuit obscure, les chemins détestables, et Hanz bien lent,
malgré son zèle. L'orage s'éleva, la pluie tomba par torrents. Le vieux
cheval que montait le vieux serviteur s'effraya, trébucha vingt fois, et
finit par s'égarer dans les bois avec son maître consterné, qui prenait
toutes les collines pour le Schreckenstein, et tous les éclairs pour le
vol flamboyant d'un mauvais esprit. Ce ne fut qu'au grand jour que Hanz
retrouva sa route. Il approcha, au trot le plus allongé qu'il put faire
prendre à sa monture, de la ville, où dormait profondément le médecin;
celui-ci s'éveilla, se para lentement, et se mit enfin en route. On avait
perdu à décider et à effectuer tout ceci vingt-quatre heures.
Albert essaya vainement de dormir. Une inquiétude dévorante et les
Bruits sinistres de l'orage le tinrent éveillé toute la nuit. Il n'osait
descendre, craignant encore de scandaliser sa tante, qui lui avait fait
un sermon le matin, sur l'inconvenance de ses importunités auprès de
l'appartement de deux demoiselles. Il laissa sa porte ouverte, et entendit
plusieurs fois des pas à l'étage inférieur. Il courait sur l'escalier;
mais ne voyant personne et n'entendant plus rien, il s'efforçait de se
rassurer, et de mettre sur le compte du vent et de la pluie ces bruits
trompeurs qui l'avaient effrayé. Depuis que Consuelo l'avait exigé, il
soignait sa raison, sa santé morale, avec patience et fermeté. Il
repoussait les agitations et les craintes, et tâchait de s'élever
au-dessus de son amour, par la force dé son amour même. Mais tout à coup,
au milieu des roulements de la foudre et du craquement de l'antique
charpente du château qui gémissait sous l'effort de l'ouragan, un long
cri déchirant s'élève jusqu'à lui, et pénètre dans ses entrailles comme
un coup de poignard. Albert, qui s'était jeté tout habillé sur son lit
avec la résolution de s'endormir, bondit, s'élance, franchit l'escalier
comme un trait, et frappe à la porte de Consuelo. Le silence était
rétabli; personne ne venait ouvrir. Albert croyait encore avoir rêvé; mais