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déchirer son coeur. Il n'hésite plus, fait le tour par un corridor sombre,
arrive à la porte d'Amélie, la secoue et se nomme. Il entend pousser un
verrou, et la voix d'Amélie lui ordonne impérieusement de s'éloigner.
Cependant les cris et les gémissements redoublent: c'est la voix de
Consuelo en proie à un supplice intolérable. Il entend son propre nom
s'exhaler avec désespoir de cette bouche adorée. Il pousse la porte avec
rage, fait sauter serrure et verrou, et, repoussant Amélie, qui joue la
pudeur outragée en se voyant surprise en robe de chambre de damas et en
coiffe de dentelles, il la fait tomber sur son sofa, et s'élance dans la
chambre de Consuelo, pâle comme un spectre, et les cheveux dressés sur la
tête.
XLVIII.
Consuelo, en proie à un délire épouvantable, se débattait dans les bras
des deux plus vigoureuses servantes de la maison, qui avaient grand'peine
à l'empêcher de se jeter hors de son lit. Tourmentée, ainsi qu'il arrive
dans certains cas de fièvre cérébrale, par des terreurs inouïes, la
malheureuse enfant voulait fuir les visions dont elle était assaillie;
elle croyait voir, dans les personnes qui s'efforçaient de la retenir
et de la rassurer, des ennemis, des monstres acharnés à sa perte. Le
chapelain consterné, qui la croyait prête à retomber foudroyée par son
mal, répétait déjà auprès d'elle les prières des agonisants: elle le
prenait pour Zdenko construisant le mur qui devait l'ensevelir, en
psalmodiant ses chansons mystérieuses. La chanoinesse tremblante, qui
joignait ses faibles efforts à ceux des autres femmes pour la retenir
dans son lit, lui apparaissait comme le fantôme des deux Wanda, la soeur
de Ziska et la mère d'Albert, se montrant tour à tour dans la grotte du
solitaire, et lui reprochant d'usurper leurs droits et d'envahir leur
domaine. Ses exclamations, ses gémissements, et ses prières délirantes et
incompréhensibles pour les assistants, étaient en rapport direct avec les
pensées et les objets qui l'avaient si vivement agitée et frappée la nuit
précédente. Elle entendait gronder le torrent, et avec ses bras elle
imitait le mouvement de nager. Elle secouait sa noire chevelure éparse
sur épaules, et croyait en voir tomber des flots d'écume. Toujours elle
sentait Zdenko derrière elle, occupé à ouvrir l'écluse, ou devant elle,
acharné à lui fermer le chemin. Elle ne parlait que d'eau et de pierres,
avec une continuité d'images qui faisait dire au chapelain en secouant
la tête:«Voilà un rêve bien long et bien pénible. Je ne sais pourquoi elle
s'est tant préoccupé l'esprit dernièrement de cette citerne; c'était sans
doute un commencement de fièvre, et vous voyez que son délire a toujours
cet objet en vue.»
Au moment où Albert entra éperdu dans sa chambre, Consuelo, épuisée de
fatigue, ne faisait plus entendre que des mots inarticulés qui se
terminaient par des cris sauvages. La puissance de la volonté ne
gouvernant plus ses terreurs, comme au moment où elle les avait
affrontées, elle en subissait l'effet rétroactif avec une intensité
horrible. Elle retrouvait cependant une sorte de réflexion tirée de son
délire même, et se prenait à appeler Albert d'une voix si pleine et si
vibrante que toute la maison semblait en devoir être ébranlée sur ses
fondements; puis ses cris se perdaient en de longs sanglots qui