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Je sais ce qu'il lui faut, et vous ne le savez pas. Malheureux que vous
êtes, obéissez-moi! Vous ne l'avez pas secourue; vous pouviez empêcher
l'invasion de cette horrible crise; vous ne l'avez pas fait, vous ne
l'avez pas voulu; vous m'avez caché son mal, vous m'avez tous trompé. Vous
vouliez donc la perdre? Votre lâche prudence, votre hideuse apathie, vous
ont lié la langue et les mains! Donnez-moi votre boîte, vous dis-je, et
laissez-moi agir.»
Et comme le chapelain hésitait à lui remettre ces médicaments qui, sous la
main inexpérimentée d'un homme exalté et à demi fou, pouvaient devenir des
poisons, il la lui arracha violemment. Sourd aux observations de sa tante,
il choisit et dosa lui-même les calmants impérieux qui pouvaient agir avec
promptitude. Albert était plus savant en beaucoup de choses qu'on ne le
pensait. Il avait étudié sur lui-même, à une époque de sa vie où il se
rendait encore compte des fréquents désordres de son cerveau, l'effet des
révulsifs les plus énergiques. Inspiré par un jugement prompt, par un zèle
courageux et absolu, il administra la potion que le chapelain n'eût jamais
osé conseiller. Il réussit, avec une patience et une douceur incroyables,
à desserrer les dents de la malade, et à lui faire avaler quelques gouttes
de ce remède efficace. Au bout d'une heure, pendant laquelle il réitéra
plusieurs fois le traitement, Consuelo respirait librement; ses mains
avaient repris de la tiédeur, et ses traits de l'élasticité. Elle
n'entendait et ne sentait rien encore, mais son accablement était une
sorte de sommeil, et une pâle coloration revenait à ses lèvres. Le médecin
arriva, et, voyant le cas sérieux, déclara qu'on l'avait appelé bien tard
et qu'il ne répondait de rien. Il eût fallu pratiquer une saignée la
veille; maintenant le moment n'était plus favorable. Sans aucun doute la
saignée ramènerait la crise. Ceci devenait embarrassant.
«Elle la ramènera, dit Albert; et cependant il faut saigner.»
Le médecin allemand, lourd personnage plein d'estime pour lui-même, et
habitué, dans son pays, où il n'avait point de concurrent, à être écouté
comme un oracle, souleva son épaisse paupière, et regarda en clignotant
celui qui se permettait de trancher ainsi la question.
«Je vous dis qu'il faut saigner, reprit Albert avec force. Avec ou sans la
saignée la crise doit revenir.
--Permettez, dit le docteur Wetzelius; ceci n'est pas aussi certain que
vous paraissez le croire.»
Et il sourit d'un air un peu dédaigneux et ironique.
«Si la crise ne revient pas, tout est perdu, repartit Albert; vous devez
le savoir. Cette somnolence conduit droit à l'engourdissement des facultés
du cerveau, à la paralysie, et à la mort. Votre devoir est de vous emparer
de la maladie, d'en ranimer l'intensité pour la combattre, de lutter
enfin! Sans cela, que venez-vous faire ici? Les prières et les sépultures
ne sont pas de votre ressort. Saignez, ou je saigne moi-même.»
Le docteur savait bien qu'Albert raisonnait juste, et il avait eu tout
d'abord l'intention de saigner; mais il ne convenait pas à un homme de
son importance de prononcer et d'exécuter aussi vite. C'eût été donner à
penser que le cas était simple et le traitement facile, et notre Allemand
avait coutume de feindre de grandes perplexités, un pénible examen, afin
de sortir de là triomphant, comme par une soudaine illumination de son