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bien faits. Les coffres de la voiture sont remplis de tous les effets
nécessaires au voyage. Il ne reste au château des Géants que vos armes et
vos bêtes, dont vous n'avez que faire à Prague, et que d'ailleurs on vous
renverra dès que vous les redemanderez. Une lettre sera remise à mon oncle
Christian, à l'heure de son déjeuner. Elle est tournée de manière à lui
faire comprendre la nécessité de notre départ, sans l'affliger trop, et
sans le fâcher contre vous ni contre moi. Maintenant je vous demande
humblement pardon de vous avoir trompé; mais il y avait près d'un mois que
vous aviez consenti à ce que j'exécute en cet instant. Je ne contrarie
donc pas vos volontés en retournant à Prague dans un moment où vous n'y
songiez pas précisément, mais où vous êtes enchanté, je gage, d'être
délivré de tous les ennuis qu'entraînent la dissolution et les préparatifs
d'un déplacement. Ma position devenait intolérable, et vous ne vous en
aperceviez pas. Voilà mon excuse et ma justification. Daignez m'embrasser
et ne pas me regarder avec ces yeux courroucés qui me font peur.»
En parlant ainsi, Amélie étouffait, ainsi que sa suivante, une forte envie
de rire; car jamais le baron n'avait eu un regard de colère pour qui que
ce fût, à plus forte raison pour sa fille chérie. Il roulait en ce moment
de gros yeux effarés et, il faut l'avouer, un peu hébétés par la surprise.
S'il éprouvait quelque contrariété de se voir jouer de la sorte, et un
chagrin réel de quitter son frère et sa soeur aussi brusquement, sans leur
avoir dit adieu, il était si émerveillé de ce qui arrivait, que son
mécontentement se changeait en admiration, et il ne pouvait que dire:
«Mais comment avez-vous fait pour arranger tout cela sans que j'en aie eu
le moindre soupçon? Pardieu, j'étais loin de croire, en ôtant mes bottes
et en faisant rentrer mon cheval, que je partais pour Prague, et que je
ne dînerais pas ce soir avec mon frère! Voilà une singulière aventure, et
personne ne voudra me croire quand je la raconterai ... Mais où avez-vous
mis mon bonnet de voyage, Amélie, et comment voulez-vous que je dorme dans
la voiture avec ce chapeau galonné sur les oreilles?
--Votre bonnet? le voici, cher papa, dit la jeune espiègle en lui
présentant sa toque fourrée, qu'il mit à l'instant sur son chef avec
une naïve satisfaction.
--Mais ma bouteille de voyage? vous l'avez oubliée certainement, méchante
petite fille?
--Oh! certainement non, s'écria-t-elle en lui présentant un large flacon
de cristal, garni de cuir de Russie, et monté en argent; je l'ai remplie
moi-même du meilleur vin de Hongrie qui soit dans la cave de ma tante.
Goûtez plutôt, c'est celui que vous préférez.
--Et ma pipe? et mon sac de tabac turc?
--Rien ne manque, dit la soubrette. Monsieur le baron trouvera tout dans
les poches de la voiture; nous n'avons rien oublié, rien négligé pour
qu'il fit le voyage agréablement.
--A la bonne heure!, dit le baron en chargeant sa pipe; ce n'en est pas
moins une grande scélératesse que vous faites là, ma chère Amélie. Vous
rendez votre père ridicule, et vous êtes cause que tout le monde va se
moquer de moi.
--Cher papa, répondit Amélie, c'est moi qui suis bien ridicule aux yeux
du monde, quand je parais m'obstiner à épouser un aimable cousin qui ne