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ma maîtresse de musique. Il y a assez longtemps que je subis cette
humiliation, et je ne sais trop s'il est beaucoup de filles de mon rang,
de mon air et de mon âge, qui n'en eussent pas pris un dépit plus sérieux.
Ce que je sais fort bien, c'est qu'il y a des filles qui s'ennuient moins
que je ne le fais depuis dix-huit mois, et qui, pour en finir, prennent la
fuite ou se font enlever. Moi, je me contente de fuir en enlevant mon
père. C'est plus nouveau et plus honnête: qu'en pense mon cher papa?
--Tu as le diable au corps!» répondit le baron en embrassant sa fille; et
il fit le reste du voyage fort gaiement, buvant, fumant et dormant tour à
tour, sans se plaindre et sans s'étonner davantage.
Cet événement ne produisit pas autant d'effet dans la famille que la
petite baronne s'en était flattée. Pour commencer par le comte Albert, il
eût pu passer une semaine sans y prendre garde; et lorsque la chanoinesse
le lui annonça, il se contenta de dire:
«Voici la seule chose spirituelle que la spirituelle Amélie ait su faire
depuis qu'elle a mis le pied ici. Quant à mon bon oncle, j'espère qu'il ne
sera pas longtemps sans nous revenir.
--Moi, je regrette mon frère, dit le vieux Christian, parce qu'à mon âge
on compte par semaines et par jours. Ce qui ne vous paraît pas longtemps,
Albert, peut être pour moi l'éternité, et je ne suis pas aussi sûr que
Vous de revoir mon pacifique et insouciant Frédérick. Allons! Amélie l'a
voulu, ajouta-t-il en repliant et jetant de côté avec un sourire la
lettre singulièrement cajoleuse et méchante que la jeune baronne lui avait
laissée: rancune de femme ne pardonne pas. Vous n'étiez pas nés l'un pour
l'autre, mes enfants, et mes doux rêves se sont envolés!»
En parlant ainsi, le vieux comte regardait son fils avec une sorte
d'enjouement mélancolique, comme pour surprendre quelque trace de regret
dans ses yeux. Mais il n'en trouva aucune; et Albert, en lui pressant le
bras avec tendresse, lui fit comprendre qu'il le remerciait de renoncer à
des projets si contraires à son inclination.
«Que ta volonté soit faite, mon Dieu, reprit le vieillard, et que ton
coeur soit libre, mon fils! Tu te portes bien, tu parais calme et heureux
désormais parmi nous. Je mourrai consolé, et la reconnaissance de ton père
te portera bonheur après notre séparation.
--Ne parlez pas de séparation, mon père! s'écria le jeune comte, dont les
yeux se remplirent subitement de larmes. Je n'ai pas la force de supporter
cette idée.»
La chanoinesse, qui commençait à s'attendrir, fut aiguillonnée en cet
instant par un regard du chapelain, qui se leva et sortit du salon avec
une discrétion affectée.
C'était lui donner l'ordre et le signal. Elle pensa, non sans douleur et
sans effroi, que le moment était venu de parler; et, fermant les yeux
comme une personne qui se jette par la fenêtre pour échapper à l'incendie,
elle commença ainsi en balbutiant et en devenant plus pâle que de coutume:
«Certainement Albert chérit tendrement son père, et il ne voudrait pas lui
causer un chagrin mortel....»
Albert leva la tête, et regarda sa tante avec des yeux si clairs et si
pénétrants, qu'elle fut toute décontenancée, et n'en put dire davantage.
Le vieux comte parut ne pas avoir entendu cette réflexion bizarre, et,