37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 247

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paraissait avoir pris pour elle une prédilection plus vive qu'avant sa

maladie, l'entourait de ses soins avec une sorte de galanterie paternelle

dont elle se sentait profondément touchée. La chanoinesse, qui ne disait

plus rien, ne s'en faisait pas moins un devoir de veiller sur tous ses

pas, et de venir se mettre en tiers dans tous ses entretiens avec Albert.

Enfin, comme celui-ci ne donnait plus aucun signe d'aliénation mentale,

On se livra au plaisir de recevoir et même d'attirer les parents et les

voisins, longtemps négligés. On mit une sorte d'ostentation naïve et

tendre à leur montrer combien le jeune comte de Rudolstadt était redevenu

sociable et gracieux; et Consuelo paraissant exiger de lui, par ses

regards et son exemple, qu'il remplit le voeu de ses parents, il lui

fallut bien reprendre les manières d'un homme du monde et d'un châtelain

hospitalier.

Cette rapide transformation lui coûta extrêmement. Il s'y résigna pour

obéir à celle qu'il aimait. Mais il eût voulu en être récompensé par des

entretiens plus longs et des épanchements plus complets. Il supportait

patiemment des journées de contrainte et d'ennui, pour obtenir d'elle le

soir un mot d'approbation et de remerciement. Mais, quand la chanoinesse

venait, comme un spectre importun, se placer entre eux, et lui arracher

cette pure jouissance, il sentait son âme s'aigrir et sa force

l'abandonner. Il passait des nuits cruelles, et souvent il approchait

de la citerne, qui n'avait pas cessé d'être pleine et limpide depuis le

jour où il l'avait remontée portant Consuelo dans ses bras. Plongé dans

une morne rêverie, il maudissait presque le serment qu'il avait fait de

ne plus retourner à son ermitage. Il s'effrayait de se sentir malheureux,

et de ne pouvoir ensevelir le secret de sa douleur dans les entrailles

de la terre.

L'altération de ses traits, après ces insomnies, le retour passager, mais

de plus en plus fréquent, de son air sombre et distrait, ne pouvaient

manquer de frapper ses parents et son amie. Mais celle-ci avait trouvé le

moyen de dissiper ces nuages, et de reprendre son empire chaque fois

qu'elle était menacée de le perdre. Elle se mettait à chanter; et aussitôt

le jeune comte, charmé ou subjugué, se soulageait par des pleurs, ou

s'animait d'un nouvel enthousiasme. Ce remède était infaillible, et, quand

il pouvait lui dire quelques mots à la dérobée:

«Consuelo, s'écriait-il, tu connais le chemin de mon âme. Tu possèdes la

puissance refusée au vulgaire, et tu la possèdes plus qu'aucun être vivant

en ce monde. Tu parles le langage divin, tu sais exprimer les sentiments

les plus sublimes, et communiquer les émotions puissantes de ton âme

inspirée. Chante donc toujours quand tu me vois succomber. Les paroles que

tu prononces dans tes chants ont peu de sens pour moi; elles ne sont qu'un

thème abrégé, une indication incomplète, sur lesquels la pensée musicale

s'exerce et se développe. Je les écoute à peine; ce que j'entends, ce qui

pénètre au fond de mon coeur, c'est ta voix, c'est ton accent, c'est ton

inspiration. La musique dit tout ce que l'âme rêve et pressent de plus

mystérieux et de plus élevé. C'est la manifestation d'un ordre d'idées et

de sentiments supérieurs à ce que la parole humaine pourrait exprimer.

C'est la révélation de l'infini; et, quand tu chantes, je n'appartiens

plus à l'humanité que par ce que l'humanité a puisé de divin et d'éternel

dans le sein du Créateur. Tout ce que ta bouche me refuse de consolation