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ne le ferai pas sans vous.
--Vous me rappelez le mien, Albert, reprit-elle; je le tiendrai dès que
vous l'exigerez. Mais, mon cher docteur, vous devez songer que je n'ai pas
encore la force nécessaire. Ne voudrez-vous donc pas auparavant me faire
voir cette musique curieuse, et entendre cet admirable artiste qui joue du
violon beaucoup mieux que je ne chante?
--Je ne sais pas si vous raillez, chère soeur; mais je sais bien que vous
ne m'entendrez pas ailleurs que dans ma grotte. C'est là que j'ai essayé
de faire parler selon mon coeur cet instrument dont j'ignorais le sens,
après avoir eu pendant plusieurs années un professeur brillant et frivole,
chèrement payé par mon père. C'est là que j'ai compris ce que c'est que la
musique, et quelle sacrilège dérision une grande partie des hommes y a
substituée. Quant à moi, j'avoue qu'il me serait impossible de tirer un
son de mon violon, si je n'étais prosterné en esprit devant la Divinité.
Même si je vous voyais froide à mes côtés, attentive seulement à la forme
des morceaux que je joue, et curieuse d'examiner le plus ou moins de
talent que je puis avoir, je jouerais si mal que je doute que vous pussiez
m'écouter. Je n'ai jamais, depuis que je sais un peu m'en servir, touché
cet instrument, consacré pour moi à la louange du Seigneur ou au cri de
ma prière ardente, sans me sentir transporté dans le monde idéal, et sans
obéir au souffle d'une sorte d'inspiration mystérieuse que je ne puis
appeler à mon gré, et qui me quitte sans que j'aie aucun moyen de la
soumettre et de la fixer. Demandez-moi la plus simple phrase quand je suis
de sang-froid, et, malgré le désir que j'aurai de vous complaire, ma
mémoire me trahira, mes doigts deviendront aussi incertains que ceux d'un
enfant qui essaie ses premières notes.
--Je ne suis pas indigne, répondit Consuelo attentive et pénétrée, de
comprendre votre manière d'envisager la musique. J'espère bien pouvoir
m'associer à votre prière avec une âme assez recueillie et assez fervente
pour que ma présence ne refroidisse pas votre inspiration. Ah! pourquoi
mon maître Porpora ne peut-il entendre ce que vous dites sur l'art sacré,
mon cher Albert! il serait à vos genoux. Et pourtant ce grand artiste
lui-même ne pousse pas la rigidité aussi loin que vous, et il croit que le
chanteur et le virtuose doivent puiser le souffle qui les anime dans la
sympathie et l'admiration de l'auditoire qui les écoute.
--C'est peut-être que le Porpora, quoi qu'il en dise, confond en musique
le sentiment religieux avec la pensée humaine; c'est peut-être aussi qu'il
entend la musique sacrée en catholique; et si j'étais à son point de vue,
je raisonnerais comme lui. Si j'étais en communion de foi et de sympathie
avec un peuple professant un culte qui serait le mien, je chercherais,
dans le contact de ces âmes animées du même sentiment religieux que moi,
une inspiration que jusqu'ici j'ai été forcé de chercher dans la solitude,
et que par conséquent j'ai imparfaitement rencontrée. Si j'ai jamais le
bonheur d'unir, dans une prière selon mon coeur, ta voix divine, Consuelo,
aux accents de mon violon, sans aucun doute je m'élèverai plus haut que
je n'ai jamais fait, et ma prière sera plus digne de la Divinité. Mais
n'oublie pas, chère enfant, que jusqu'ici mes croyances ont été
abominables à tous les êtres qui m'environnent; ceux qu'elles n'auraient
pas scandalisés en auraient fait un sujet de moquerie. Voilà pourquoi j'ai