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que ce fut postérieurement la retraite d'un criminel repentant qui s'était
fait ermite par esprit de pénitence. Quoi qu'il en soit, personne n'ose y
pénétrer, et chacun prétend que l'eau dont elle s'est remplie est profonde
et mortellement vénéneuse, à cause des veines de cuivre par lesquelles
elle s'est frayé un passage. Mais cette eau n'est effectivement ni
profonde ni dangereuse: elle dort sur un lit de rochers, et nous allons la
traverser aisément si vous voulez encore une fois, Consuelo, vous confier
à la force de mes bras et à la sainteté de mon amour pour vous.»
En parlant ainsi après s'être assuré que personne ne les avait suivis et
ne pouvait les observer, il la prit dans ses bras pour qu'elle n'eût point
à mouiller sa chaussure, et, entrant dans l'eau jusqu'à mi-jambes, il se
fraya un passage à travers les arbrisseaux et les guirlandes de lierre qui
cachaient le fond de la grotte. Au bout d'un très-court trajet, il la
déposa sur un sable sec et fin, dans un endroit complètement sombre, où
aussitôt il alluma la lanterne dont il s'était muni; et après quelques
détours dans des galeries souterraines assez semblables à celles que
Consuelo avait déjà parcourues avec lui, ils se trouvèrent à une porte de
la cellule opposée à celle qu'elle avait franchie la première fois.
«Cette construction souterraine, lui dit Albert, a été destinée dans le
principe à servir de refuge, en temps de guerre, soit aux principaux
habitants du bourg qui couvrait la colline, soit aux seigneurs du château
des Géants dont ce bourg était un fief, et qui pouvaient s'y rendre
secrètement par les passages que vous connaissez. Si un ermite a occupé
depuis, comme on l'assure, la Cave du Moine, il est probable qu'il a eu
connaissance de cette retraite; car la galerie que nous venons de
parcourir m'a semblé déblayée assez nouvellement, tandis que j'ai trouvé
celles qui conduisent au château encombrées, en beaucoup d'endroits, de
terres et de gravois dont j'ai eu bien de la peine à les dégager. En
outre, les vestiges que j'ai retrouvés ici, les débris de natte, la
cruche, le crucifix, la lampe, et enfin les ossements d'un homme couché
sur le dos, les mains encore croisées sur la poitrine, dans l'attitude
d'une dernière prière à l'heure du dernier sommeil, m'ont prouvé qu'un
solitaire y avait achevé pieusement et paisiblement son existence
mystérieuse. Nos paysans croient que l'âme de l'ermite habite encore
les entrailles de la montagne. Ils disent qu'ils l'ont vue souvent errer
alentour, ou voltiger sur la cime au clair de la lune; qu'ils l'ont
entendue prier, soupirer, gémir, et même qu'une musique étrange et
incompréhensible est venue parfois, comme un souffle à peine saisissable,
expirer autour d'eux sur les ailes de la nuit. Moi-même, Consuelo, lorsque
l'exaltation du désespoir peuplait la nature autour de moi de fantômes et
de prodiges, j'ai cru voir le sombre pénitent prosterné sous le _Hussite_;
je me suis figuré entendre sa voix plaintive et ses soupirs déchirants
monter des profondeurs de l'abîme. Mais depuis que j'ai découvert et
habité cette cellule, je ne me souviens pas d'y avoir trouvé d'autre
solitaire que moi, rencontré d'autre spectre que ma propre figure, ni
entendu d'autres gémissements que ceux qui s'échappaient de ma poitrine.»
Consuelo, depuis sa première entrevue avec Albert dans ce souterrain, ne
lui avait plus jamais entendu tenir de discours insensés. Elle n'avait
donc jamais osé lui rappeler les étranges paroles qu'il lui avait dites