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moi, pour un fanatique sans pitié, pour un tyran sans entrailles...
--Mais quels sont donc ces crimes que vous avez commis? dit Consuelo avec
force, partagée entre mille sentiments divers, et enhardie par le profond
abattement d'Albert. Si vous avez une confession à faire, faites-la ici,
faites-la maintenant, devant moi, afin que je sache si je puis vous
absoudre et vous aimer.
--M'absoudre, oui! vous le pouvez; car celui que vous connaissez, Albert
de Rudolstadt, a eu une vie aussi pure que celle d'un petit enfant. Mais
celui que vous ne connaissez pas, Jean Ziska du Calice, a été entraîné
par la colère du ciel dans une carrière d'iniquités!»
Consuelo vit quelle imprudence elle avait commise en réveillant le feu qui
couvait sous la cendre, et en ramenant par ses questions le triste Albert
aux préoccupations de sa monomanie. Ce n'était plus le moment de les
combattre par le raisonnement: elle s'efforça de le calmer par les moyens
mêmes que sa démence lui indiquait.
«Il suffit, Albert, lui dit-elle. Si toute votre existence actuelle a été
consacrée à la prière et au repentir, vous n'avez plus rien à expier, et
Dieu pardonne à Jean Ziska.
--Dieu ne se révèle pas directement aux humbles créatures qui le servent,
répondit le comte en secouant la tête. Il les abaisse ou les encourage en
se servant des unes pour le salut ou pour le châtiment des autres. Nous
sommes tous les interprètes de sa volonté, quand nous cherchons à
réprimander ou à consoler nos semblables dans un esprit de charité. Vous
n'avez pas le droit, jeune fille, de prononcer sur moi les paroles de
l'absolution. Le prêtre lui-même n'a pas cette haute mission que l'orgueil
ecclésiastique lui attribue. Mais vous pouvez me communiquer la grâce
divine en m'aimant. Votre amour peut me réconcilier avec le ciel, et me
donner l'oubli des jours qu'on appelle l'histoire des siècles passés...
Vous me feriez de la part du Tout-Puissant les plus sublimes promesses,
que je ne pourrais vous croire; je ne verrais en cela qu'un noble et
généreux fanatisme. Mettez la main sur votre coeur, demandez-lui si ma
pensée l'habite, si mon amour le remplit, et s'il vous répond __oui_, ce
_oui_ sera la formule sacramentelle de mon absolution, le pacte de ma
réhabilitation, le charme qui fera descendre en moi le repos, le bonheur,
l'_oubli!_ C'est ainsi seulement que vous pourrez être la prêtresse de
mon culte, et que mon âme sera déliée dans le ciel, comme celle du
catholique croit l'être par la bouche de son confesseur. Dites que vous
m'aimez, s'écria-t-il en se tournant vers elle avec passion comme pour
l'entourer de ses bras.» Mais elle recula, effrayée du serment qu'il lui
demandait; et il retomba sur les ossements en exhalant un gémissement
profond, et en s'écriant: «Je savais bien qu'elle ne pourrait pas m'aimer,
que je ne serais jamais pardonné, que je n'_oublierais_ jamais les jours
où je ne l'ai pas connue!
--Albert, cher Albert, dit Consuelo profondément émue de la douleur qui
le déchirait, écoutez-moi avec un peu de courage. Vous me reprochez de
vouloir vous leurrer par l'idée d'un miracle, et cependant vous m'en
demandez un plus grand encore. Dieu, qui voit tout, et qui apprécie nos
mérites, peut tout pardonner. Mais une créature faible et bornée, comme
moi surtout, peut-elle comprendre et accepter, par le seul effort de sa