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aviez ma mort écrite dans les yeux. Pardonnez-moi de vous répéter les
paroles de sa démence, et comprenez maintenant pourquoi j'ai dû l'éloigner
de vous et de moi. N'en parlons pas davantage, je vous en supplie; ce
sujet de conversation m'est fort pénible. J'ai aimé Zdenko comme un autre
moi-même. Sa folie s'était assimilée et identifiée à la mienne, au point
que nous avions spontanément les mêmes pensées, les mêmes visions, et
jusqu'aux mêmes souffrances physiques. Il était plus naïf, et partant plus
poëte que moi; son humeur était plus égale, et les fantômes que je
voyais affreux et menaçants, il les voyait doux et tristes à travers
son organisation plus tendre et plus sereine que la mienne. La grande
différence qui existait entre nous deux, c'était l'irrégularité de mes
accès et la continuité de son enthousiasme. Tandis que j'étais tour à tour
en proie au délire ou spectateur froid et consterné de ma misère, il
vivait constamment dans une sorte de rêve où tous les objets extérieurs
venaient prendre des formes symboliques; et cette divagation était
toujours si douce et si affectueuse, que dans mes moments lucides (les
plus douloureux pour moi à coup sûr!) j'avais besoin de la démence
paisible et ingénieuse de Zdenko pour me ranimer et me réconcilier avec
la vie.
--O mon ami, dit Consuelo, vous devriez me haïr, et je me hais moi-même,
pour vous avoir privé de cet ami si précieux et si dévoué. Mais son exil
n'a-t-il pas duré assez longtemps? A cette heure, il est guéri sans doute
d'un accès passager de violence....
--Il en est guéri ... _probablement!_ dit Albert avec un sourire étrange
et plein d'amertume.
--Eh bien, reprit Consuelo qui cherchait à repousser l'idée de la mort de
Zdenko, que ne le rappelez-vous? Je le reverrais sans crainte, je vous
assure; et à nous deux, nous lui ferions oublier ses préventions contre
moi.
--Ne parlez pas ainsi, Consuelo, dit Albert avec abattement; ce retour est
impossible désormais. J'ai sacrifié mon meilleur ami, celui qui était mon
compagnon, mon serviteur, mon appui, ma mère prévoyante et laborieuse,
mon enfant naïf, ignorant et soumis; celui qui pourvoyait à tous mes
besoins, à tous mes innocents et tristes plaisirs; celui qui me défendait
contre moi-même dans mes accès de désespoir, et qui employait la force
et la ruse pour m'empêcher de quitter ma cellule, lorsqu'il me voyait
incapable de préserver ma propre dignité et ma propre vie dans le monde
des vivants et dans la société des autres hommes. J'ai fait ce sacrifice
sans regarder derrière moi et sans avoir de remords, parce que je le
devais; parce qu'en affrontant les dangers du souterrain, en me rendant la
raison et le sentiment de mes devoirs, vous étiez plus précieuse, plus
sacrée pour moi que Zdenko lui-même.
--Ceci est un erreur, un blasphème peut-être, Albert! Un instant de
courage ne saurait être comparé à toute une vie de dévouement.
--Ne croyez pas qu'un amour égoïste et sauvage m'ait donné le conseil
d'agir comme je l'ai fait. J'aurais su étouffer un tel amour dans mon
sein, et m'enfermer dans ma caverne avec Zdenko, plutôt que de briser le
coeur et la vie du meilleur des hommes. Mais la voix de Dieu avait parlé
clairement. J'avais résisté à l'entraînement qui me maîtrisait; je vous