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pressentiments qui me faisaient espérer en vous l'ange de mon salut ne se
seraient pas réalisés. Jusqu'au désordre apporté par un songe menteur dans
l'organisation pieuse et douce de Zdenko, il partageait mon aspiration
vers vous, mes craintes, mes espérances, et mes religieux désirs.
L'infortuné, il vous méconnut le jour même où vous vous révéliez! La
lumière céleste qui avait toujours éclairé les régions mystérieuses de
son esprit s'éteignit tout à coup, et Dieu le condamna en lui envoyant
l'esprit de vertige et de fureur. Je devais l'abandonner aussi; car vous
m'apparaissiez enveloppée d'un rayon de la gloire, vous descendiez vers
moi sur les ailes du prodige, et vous trouviez, pour me dessiller les
yeux, des paroles que votre intelligence calme et votre éducation
d'artiste ne vous avaient pas permis d'étudier et de préparer. La pitié,
la charité, vous inspiraient, et, sous leur influence miraculeuse, vous
me disiez ce que je devais entendre pour connaître et concevoir la vie
humaine.
--Que vous ai-je donc dit de si sage et de si fort? Vraiment, Albert,
je n'en sais rien.
--Ni moi non plus; mais Dieu même était dans le son de votre voix et dans
la sérénité de votre regard. Auprès de vous je compris en un instant ce
que dans toute ma vie je n'eusse pas trouvé seul. Je savais auparavant que
ma vie était une expiation, un martyre; et je cherchais l'accomplissement
de ma destinée dans les ténèbres, dans la solitude, dans les larmes, dans
l'indignation, dans l'étude, dans l'ascétisme et les macérations. Vous me
fîtes pressentir une autre vie, un autre martyre, tout de patience, de
douceur, de tolérance et de dévouement. Les devoirs que vous me traciez
naïvement et simplement, en commençant par ceux de la famille, je les
avais oubliés; et ma famille, par excès de bonté, me laissait ignorer mes
crimes. Je les ai réparés, grâce à vous; et dès le premier jour j'ai
connu, au calme qui se faisait en moi, que c'était là tout ce que Dieu
exigeait de moi pour le présent. Je sais bien que ce n'est pas tout, et
j'attends que Dieu se révèle sur la suite de mon existence. Mais j'ai
confiance maintenant, parce que j'ai trouvé l'oracle que je pourrai
interroger. C'est vous, Consuelo! La Providence vous a donné pouvoir sur
moi, et je ne me révolterai pas contre ses décrets, en cherchant à m'y
soustraire. Je ne devais donc pas hésiter un instant entre la puissance
supérieure investie du don de me régénérer, et la pauvre créature passive
qui jusqu'alors n'avait fait que partager mes détresses et subir mes
orages.
--Vous parlez de Zdenko? Mais que savez-vous si Dieu ne m'avait pas
destinée à le guérir, lui aussi? Vous voyez bien que j'avais déjà quelque
pouvoir sur lui, puisque j'avais réussi à le convaincre d'un mot, lorsque
sa main était levée sur moi pour me tuer.
--O mon Dieu, il est vrai, j'ai manqué de foi, j'ai eu peur.
Je connaissais les serments de Zdenko. Il m'avait fait malgré moi celui
de ne vivre que pour moi, et il l'avait tenu depuis que j'existe, en mon
absence comme avant et depuis mon retour. Lorsqu'il jurait de vous
_détruire_, je ne pensais même pas qu'il fût possible d'arrêter l'effet de
sa résolution, et je pris le parti de l'offenser, de le bannir, de le
briser, de le _détruire_ lui-même.