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sans examen à mes affaires personnelles....
--Je le sais bien, reprit effrontément Anzoleto; mais puisque monseigneur
le comte m'y autorise, je n'ai pas besoin d'autre permission que la sienne
pour entrer dans la confidence.
--Vous voudrez bien me laisser juge de ce qui convient à vous et à moi,
répondit Consuelo avec hauteur. Monsieur le comte, je suis prête à vous
suivre dans votre appartement, et à vous écouter avec respect.
--Vous êtes bien sévère avec ce bon jeune homme, qui a l'air si franc et
si enjoué,» dit le comte en souriant; puis, se tournant vers Anzoleto:
«Ne vous impatientez pas, mon enfant, lui dit-il; votre tour viendra. Ce
que j'ai à dire à votre soeur ne peut pas vous être caché: et bientôt,
j'espère, elle me permettra de vous mettre, comme vous dites, dans la
confidence.»
Anzoleto eut l'impertinence de répondre à la gaieté expansive du vieillard
en retenant sa main dans les siennes, comme s'il eût voulu s'attacher à
lui, et surprendre le secret dont l'excluait Consuelo. Il n'eut pas le
bon goût de comprendre qu'il devait au moins sortir du salon, pour
épargner au comte la peine d'en sortir lui-même. Quand il s'y trouva seul,
il frappa du pied avec colère, craignant que cette jeune fille, devenue
si maîtresse d'elle-même, ne déconcertât tous ses plans et ne le fit
éconduire en dépit de son habileté. Il eut envie de se glisser dans la
maison, et d'aller écouter à toutes les portes. Il sortit du salon dans ce
dessein; erra dans les jardins quelques moments, puis se hasarda dans les
galeries, feignant, lorsqu'il rencontrait quelque serviteur, d'admirer la
belle architecture du château. Mais, à trois reprises différentes, il vit
passer à quelque distance un personnage vêtu de noir, et singulièrement
grave, dont il ne se soucia pas beaucoup d'attirer l'attention: c'était
Albert, qui paraissait ne pas le remarquer, et qui, cependant, ne le
perdait pas de vue. Anzoleto, en le voyant plus grand que lui de toute la
tête, et en observant la beauté sérieuse de ses traits, comprit que, de
toutes façons, il n'avait pas un rival aussi méprisable qu'il l'avait
d'abord pensé, dans la personne du fou de Riesenburg. Il prit donc le
parti de rentrer dans le salon, et d'essayer sa belle voix dans ce vaste
local, en promenant avec distraction ses doigts sur le clavecin.
«Ma fille, dit le comte Christian à Consuelo, après l'avoir conduite dans
son cabinet et lui avoir avancé un grand fauteuil de velours rouge à
crépines d'or, tandis qu'il s'assit sur un pliant à côté d'elle, j'ai à
vous demander une grâce, et je ne sais pas encore de quel droit je vais
le faire avant que vous ayez compris mes intentions. Puis-je me flatter
que mes cheveux blancs, ma tendre estime pour vous, et l'amitié du noble
Porpora, votre père adoptif, vous donneront assez de confiance en moi
pour que vous consentiez à m'ouvrir votre coeur sans réserve?»
Attendrie et cependant un peu effrayée de ce début, Consuelo porta à ses
lèvres la main du vieillard, et lui répondit avec effusion:
«Oui, monsieur le comte, je vous respecte et vous aime comme si
j'avais l'honneur de vous avoir pour mon père, et je puis répondre sans
crainte et sans détour à toutes vos questions, en ce qui me concerne
personnellement.»
--Je ne vous demanderai rien autre chose, ma chère fille, et je vous