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vous crois incapable d'y manquer.
--Je le crois, monsieur le comte. Daignez parler.
--Eh bien, mon enfant, dit le vieillard avec une curiosité naïve et
encourageante, comment vous nommez-vous?
--Je n'ai pas de nom, répondit Consuelo sans hésiter; ma mère n'en portait
pas d'autre que celui de Rosmunda. Au baptême, je fus appelée Marie de
Consolation: je n'ai jamais connu mon père.
--Mais vous savez son nom?
--Nullement, monseigneur; je n'ai jamais entendu parler de lui.
--Maître Porpora vous a-t-il adoptée? Vous a-t-il donné son nom par un
acte légal?
--Non, monseigneur. Entre artistes, ces choses-là ne se font pas, et ne
sont pas nécessaires. Mon généreux maître ne possède rien, et n'a rien à
léguer. Quant à son nom, il est fort inutile à ma position dans le monde
que je le porte en vertu d'un usage ou d'un contrat. Si je le justifie par
quelque talent, il me sera bien acquis; sinon, j'aurai reçu un honneur
dont j'étais indigne.»
Le comte garda le silence pendant quelques instants; puis, reprenant la
main de Consuelo:
«La noble franchise avec laquelle vous me répondez me donne encore une
plus haute idée de vous, lui dit-il. Ne pensez pas que je vous aie demandé
ces détails pour vous estimer plus ou moins, selon votre naissance et
votre condition. Je voulais savoir si vous aviez quelque répugnance à dire
la vérité, et je vois que vous n'en avez aucune. Je vous en sais un gré
infini, et vous trouve plus noble par votre caractère que nous ne le
sommes, nous autres, par nos titres.»
Consuelo sourit de la bonne foi avec laquelle le vieux patricien admirait
qu'elle fit, sans rougir, un aveu si facile. Il y avait dans cette
surprise un reste de préjugé d'autant plus tenace que Christian s'en
défendait plus noblement. Il était évident qu'il combattait ce préjugé
en lui-même, et qu'il voulait le vaincre.
«Maintenant, reprit-il, je vais vous faire une question plus délicate
encore, ma chère enfant, et j'ai besoin de toute votre indulgence pour
excuser ma témérité.
--Ne craignez rien, monseigneur, dit-elle; je répondrai à tout avec aussi
peu d'embarras.
--Eh bien, mon enfant ... vous n'êtes pas mariée?
--Non, monseigneur, que je sache.
--Et ... vous n'êtes pas veuve? Vous n'avez pas d'enfants?
--Je ne suis pas veuve, et je n'ai pas d'enfants, répondit Consuelo qui
eut fort envie de rire, ne sachant où le comte voulait en venir.
--Enfin, reprit-il, vous n'avez engagé votre foi à personne, vous êtes
parfaitement libre?
--Pardon, monseigneur; j'avais engagé ma foi, avec le consentement et même
d'après l'ordre de ma mère mourante, à un jeune garçon que j'aimais depuis
l'enfance, et dont j'ai été la fiancée jusqu'au moment où j'ai quitté
Venise.
--Ainsi donc, vous êtes engagée? dit le comte avec un singulier mélange de
chagrin et de satisfaction.