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que j'aimais a indignement trahi sa foi, et je l'ai quitté pour toujours.
--Ainsi, vous l'avez aimé? dit le comte après une pause.
--De toute mon âme, il est vrai.
--Et ... peut-être que vous l'aimez encore?...
--Non, monseigneur, cela est impossible.
--Vous n'auriez aucun plaisir à le revoir?
--Sa vue ferait mon supplice.
--Et vous n'avez jamais permis ... il n'aurait pas osé ... Mais vous direz
que je deviens offensant et que j'en veux trop savoir!
--Je vous comprends, monseigneur; et, puisque je suis appelée à me
confesser, comme je ne veux point surprendre votre estime, je vous mettrai
à même de savoir, à un iota près, si je la mérite ou non. Il s'est permis
bien des choses, mais il n'a osé que ce que j'ai permis. Ainsi, nous avons
souvent bu dans la même tasse, et reposé sur le même banc. Il a dormi dans
ma chambre pendant que je disais mon chapelet. Il m'a veillée pendant que
j'étais malade. Je ne me gardais pas avec crainte. Nous étions toujours
seuls, nous nous aimions, nous devions nous marier, nous nous respections
l'un l'autre. J'avais juré à ma mère d'être ce qu'on appelle une fille
sage. J'ai tenu parole, si c'est être sage que de croire à un homme qui
doit nous tromper, et de donner sa confiance, son affection, son estime, à
qui ne mérite rien de tout cela. C'est lorsqu'il a voulu cesser d'être mon
frère, sans devenir mon mari, que j'ai commencé à me défendre. C'est
lorsqu'il m'a été infidèle que je me suis applaudie de m'être bien
défendue. Il ne tient qu'à cet homme sans honneur de se vanter du
contraire; cela n'est pas d'une grande importance pour une pauvre fille
comme moi. Pourvu que je chante juste, on ne m'en demandera pas davantage.
Pourvu que je puisse baiser sans remords le crucifix sur lequel j'ai juré
à ma mère d'être chaste, je ne me tourmenterai pas beaucoup de ce qu'on
pensera de moi. Je n'ai pas de famille à faire rougir, pas de frères, pas
de cousins à faire battre pour moi....
--Pas de frères? Vous en avez un!»
Consuelo se sentit prête à confier au vieux comte toute la vérité sous
le sceau du secret. Mais elle craignit d'être lâche en cherchant hors
d'elle-même un refuge contre celui qui l'avait menacée lâchement. Elle
pensa qu'elle seule devait avoir la fermeté de se défendre et de se
délivrer d'Anzoleto. Et d'ailleurs la générosité de son coeur recula
devant l'idée de faire chasser par son hôte l'homme qu'elle avait si
religieusement aimé. Quelque politesse que le comte Christian dût savoir
mettre à éconduire Anzoleto, quelque coupable que fut ce dernier, elle ne
se sentit pas le courage de le soumettre à une si grande humiliation. Elle
répondit donc à la question du vieillard, qu'elle regardait son frère
comme un écervelé, et n'avait pas l'habitude de le traiter autrement que
comme un enfant.
«Mais ce n'est pas un mauvais sujet? dit le comte.
--C'est peut-être un mauvais sujet, répondit-elle. J'ai avec lui le moins
de rapports possible; nos caractères et notre manière de voir sont
très-différents. Votre Seigneurie a pu remarquer que je n'étais pas fort
pressée de le retenir ici.
--Il en sera ce que vous voudrez, mon enfant; je vous crois pleine de