37603.fb2
que la manière dont il avait parlé d'elle avait élevé de graves scrupules
dans l'esprit de ses hôtes. Mais le comte Christian ne savait pas feindre,
et jusque-là son maintien et ses discours annonçaient un redoublement
d'affection plutôt que l'invasion de la défiance. D'ailleurs, la franchise
de ses réponses l'avait frappé comme auraient pu faire des révélations
inattendues; la dernière surtout avait été un coup de foudre. Et
maintenant il priait, il demandait à Dieu de l'éclairer ou de le soutenir
dans l'accomplissement d'une grande résolution. «Va-t-il me prier de
partir avec mon frère? va-t-il m'offrir de l'argent? se demandait-elle.
Ah! que Dieu me préserve de cet outrage! Mais non! cet homme est trop
délicat, trop bon pour songer à m'humilier. Que voulait-il donc me dire
d'abord, et que va-t-il me dire maintenant? Sans doute ma longue promenade
avec son fils lui donne des craintes, et il va me gronder. Je l'ai mérité
peut-être, et j'accepterai le sermon, ne pouvant répondre avec sincérité
aux questions qui me seraient faites sur le compte d'Albert. Voici une
rude journée; et si j'en passe beaucoup de pareilles, je ne pourrai plus
disputer la palme du chant aux jalouses maîtresses d'Anzoleto. Je me sens
la poitrine en feu et la gorge desséchée.»
Le comte Christian revint bientôt vers elle. Il était calme, et sa pâle
figure portait le témoignage d'une victoire remportée en vue d'une noble
intention.
«Ma fille, dit-il à Consuelo en se rasseyant auprès d'elle, après l'avoir
forcée de garder le fauteuil somptueux qu'elle voulait lui céder, et sur
lequel elle trônait malgré elle d'un air craintif: il est temps que je
réponde par ma franchise à celle que vous m'avez témoignée. Consuelo, mon
fils vous aime.»
Consuelo rougit et pâlit tour à tour. Elle essaya de répondre. Christian
l'interrompit.
«Ce n'est pas une question que je vous fais, dit-il; je n'en aurais pas le
droit, et vous n'auriez peut-être pas celui d'y répondre; car je sais que
vous n'avez encouragé en aucune façon les espérances d'Albert. Il m'a tout
dit; et je crois en lui, parce qu'il n'a jamais menti, ni moi non plus.
--Ni moi non plus, dit Consuelo en levant les yeux au ciel avec
l'expression de la plus candide fierté. Le comte Albert a dû vous dire,
monseigneur....
--Que vous aviez repoussé toute idée d'union avec lui.
--Je le devais. Je savais les usages et les idées du monde; je savais que
je n'étais pas faite pour être la femme du comte Albert, par la seule
raison que je ne m'estime l'inférieure de personne devant Dieu, et que je
ne voudrais recevoir de grâce et de faveur de qui que ce soit devant les
hommes.
--Je connais votre juste orgueil, Consuelo. Je le trouverais exagéré, si
Albert n'eût dépendu que de lui-même; mais dans la croyance où vous étiez
que je n'approuverais jamais une telle union, vous avez dû répondre comme
vous l'avez fait.
--Maintenant, monseigneur, dit Consuelo en se levant, je comprends le
reste, et je vous supplie de m'épargner l'humiliation que je redoutais.
Je vais quitter votre maison, comme je l'aurais déjà quittée si j'avais
cru pouvoir le faire sans compromettre la raison et la vie du comte