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souhaité. Puisque vous savez ce qu'il ne m'était pas permis de vous
révéler, vous pourrez veiller sur lui, empêcher les conséquences de cette
séparation, et reprendre un soin qui vous appartient plus qu'à moi. Si je
me le suis arrogé indiscrètement, c'est une faute que Dieu me pardonnera;
car il sait quelle pureté de sentiments m'a guidée en tout ceci.
--Je le sais, reprit le comte, et Dieu a parlé à ma conscience comme
Albert avait parlé à mes entrailles. Restez donc assise, Consuelo, et ne
vous hâtez pas de condamner mes intentions. Ce n'est point pour vous
ordonner de quitter ma maison, mais pour vous supplier à mains jointes d'y
rester toute votre vie, que je vous ai demandé de m'écouter.
--Toute ma vie! répéta Consuelo en retombant sur son siège, partagée entre
le bien que lui faisait cette réparation à sa dignité et l'effroi que lui
causait une pareille offre. Toute ma vie! Votre seigneurie ne songe pas à
ce qu'elle me fait l'honneur de me dire.
--J'y ai beaucoup songé ma fille, répondit le comte avec un sourire
mélancolique, et je sens que je ne dois pas m'en repentir. Mon fils vous
aime éperdument, vous avez tout pouvoir sur son âme. C'est vous qui me
l'avez rendu, vous qui avez été le chercher dans un endroit mystérieux
qu'il ne veut pas me faire connaître, mais où nulle autre qu'une mère ou
une sainte, m'a-t-il dit, n'eût osé pénétrer. C'est vous qui avez risqué
votre vie pour le sauver de l'isolement et du délire où il se consumait.
C'est grâce à vous qu'il a cessé de nous causer, par ses absences,
d'affreuses inquiétudes. C'est vous qui lui avez rendu le calme, la santé,
la raison, en un mot. Car il ne faut pas se le dissimuler, mon pauvre
enfant était fou, et il est certain qu'il ne l'est plus. Nous avons passé
presque toute la nuit à causer ensemble, et il m'a montré une sagesse
supérieure à la mienne. Je savais que vous deviez sortir avec lui ce
matin. Je l'avais donc autorisé à vous demander ce que vous n'avez pas
voulu écouter.... Vous aviez peur de moi, chère Consuelo! Vous pensiez que
le vieux Rudolstadt, encroûté dans ses préjugés nobiliaires, aurait honte
de vous devoir son fils. Eh bien, vous vous trompiez. Le vieux Rudolstadt
a eu de l'orgueil et des préjugés sans doute; il en a peut-être encore, il
ne veut pas se farder devant vous; mais il les abjure, et, dans l'élan
d'une reconnaissance sans bornes, il vous remercie de lui avoir rendu son
dernier, son seul enfant!»
En parlant ainsi, le comte Christian prit les deux mains de Consuelo dans
les siennes, et les couvrit de baisers en les arrosant de larmes.
LIX.
Consuelo fut vivement attendrie d'une démonstration qui la réhabilitait à
ses propres yeux et tranquillisait sa conscience. Jusqu'à ce moment, elle
avait eu souvent la crainte de s'être imprudemment livrée à sa générosité
et à son courage; maintenant elle en recevait la sanction et la
récompense. Ses larmes de joie se mêlèrent à celles du vieillard, et
ils restèrent longtemps trop émus l'un et l'autre pour continuer la
conversation.
Cependant Consuelo ne comprenait pas encore la proposition qui lui était
faite, et le comte, croyant s'être assez expliqué, regardait son silence
et ses pleurs comme des signes d'adhésion et de reconnaissance.
«Je vais, lui dit-il enfin, amener mon fils à vos pieds, afin qu'il joigne