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d'ailleurs que, soit innocence de ses hôtes, soit ignorance du dialecte,

c'était peine perdue, il se livra du besoin d'être admiré, en chantant

pour le plaisir de chanter; et puis il voulut faire voir à Consuelo qu'il

avait fait des progrès. Il avait gagné effectivement dans l'ordre de

puissance qui lui était assigné. Sa voix avait perdu déjà peut-être sa

première fraîcheur, l'orgie en avait effacé le velouté de la jeunesse;

mais il était devenu plus maître de ses effets, et plus habile dans l'art

de vaincre les difficultés vers lesquelles son goût et son instinct le

portaient toujours. Il chanta bien, et reçut beaucoup d'éloges du comte

Christian, de la chanoinesse, et même du chapelain, qui aimait beaucoup

les _traits_, et qui croyait la manière de Consuelo trop simple et trop

naturelle pour être savante.

«Vous disiez qu'il n'avait pas de talent, dit le comte à cette dernière;

vous êtes trop sévère ou trop modeste pour votre élève. Il en a beaucoup,

et je reconnais enfin en lui quelque chose de vous.»

Le bon Christian voulait effacer par ce petit triomphe d'Anzoleto

l'humiliation que sa manière d'être avait causée à sa prétendue soeur.

Il insista donc beaucoup sur le mérite du chanteur, et celui-ci, qui

aimait trop à briller pour ne pas être déjà fatigué de son vilain rôle,

se remit au clavecin après avoir remarqué que le comte Albert devenait de

plus en plus pensif. La chanoinesse, qui s'endormait un peu aux longs

morceaux de musique, demanda une autre chanson vénitienne; et cette fois

Anzoleto en choisit une qui était d'un meilleur goût. Il savait que les

airs populaires étaient ce qu'il chantait le mieux. Consuelo n'avait pas

elle-même l'accentuation piquante du dialecte aussi naturelle et aussi

caractérisée que lui, enfant des lagunes, et chanteur mime par excellence.

Il contrefaisait avec tant de grâce et de charme, tantôt la manière rude

et franche des pêcheurs de l'Istrie, tantôt le laisser-aller spirituel

et nonchalant des gondoliers de Venise, qu'il était impossible de ne

pas le regarder et l'écouter avec un vif intérêt. Sa belle figure, mobile

et pénétrante, prenait tantôt l'expression grave et fière, tantôt

l'enjouement caressant et moqueur des uns et des autres. Le mauvais goût

coquet de sa toilette, qui sentait son vénitien d'une lieue, ajoutait

encore à l'illusion, et servait à ses avantages personnels, au lieu de

leur nuire en cette occasion. Consuelo, d'abord froide, fut bientôt forcée

de jouer l'indifférence et la préoccupation. L'émotion la gagnait de plus

en plus. Elle revoyait tout Venise dans Anzoleto, et dans cette Venise

tout l'Anzoleto des anciens jours, avec sa gaieté, son innocent amour, et

sa fierté enfantine. Ses yeux se remplissaient de larmes, et les traits

enjoués qui faisaient rire les autres pénétraient son coeur d'un

attendrissement profond.

Après les chansons, le comte Christian demanda des cantiques.

«Oh! pour cela, dit Anzoleto, je sais tous ceux qu'on chante à Venise;

mais ils sont à deux voix, et si ma soeur, qui les sait aussi, ne veut

pas les chanter avec moi, je ne pourrai satisfaire vos seigneuries.»

On pria aussitôt Consuelo de chanter. Elle s'en défendit longtemps,

quoiqu'elle en éprouvât une vive tentation. Enfin, cédant aux instances

de ce bon Christian, qui s'évertuait à la réconcilier avec son frère en

se montrant tout réconcilié lui-même, elle s'assit auprès d'Anzoleto, et

commença en tremblant un de ces longs cantiques à deux parties, divisés