37603.fb2
à fuir, n'osant se retourner, elle restait enchaînée à sa place par une
puissance magique.
Quelqu'un la suivait, en effet, mais sans oser et sans vouloir se montrer:
c'était Albert. Étranger à toutes ces petites dissimulations qu'on appelle
les convenances, et se sentant par la grandeur de son amour au-dessus de
toute mauvaise honte, il était sorti un instant après elle, résolu de la
protéger à son insu, et d'empêcher son séducteur de la rejoindre. Anzoleto
avait remarqué cet empressement naïf, sans en être fort alarmé. Il avait
trop bien vu le trouble de Consuelo, pour ne pas regarder sa victoire
comme assurée; et, grâce à la fatuité que de faciles succès avaient
développée en lui, il était résolu à ne plus brusquer les choses, à ne
plus irriter son amante, et à ne plus effaroucher la famille. «Il n'est
plus nécessaire de tant me presser, se disait-il. La colère pourrait lui
donner des forces. Un air de douleur et d'abattement lui fera perdre le
reste de courroux qu'elle a contre moi. Son esprit est fier, attaquons ses
sens. Elle est sans doute moins austère qu'à Venise; elle s'est civilisée
ici. Qu'importe que mon rival soit heureux un jour de plus? Demain elle
est à moi; cette nuit peut-être! Nous verrons bien. Ne la poussons pas par
la peur à quelque résolution désespérée. Elle ne m'a pas trahi auprès
d'eux. Soit pitié, soit crainte, elle ne dément pas mon rôle de frère; et
les grands parents, malgré toutes mes sottises, paraissent résolus à me
supporter pour l'amour d'elle. Changeons donc de tactique. J'ai été plus
vite que je n'espérais. Je puis bien faire halte.»
Le comte Christian, la chanoinesse et le chapelain furent donc fort
surpris de lui voir prendre tout d'un coup de très-bonnes manières, un ton
modeste, et un maintien doux et prévenant. Il eut l'adresse de se plaindre
tout bas au chapelain d'un grand mal de tête, et d'ajouter qu'étant fort
sobre d'habitude, le vin de Hongrie, dont il ne s'était pas méfié au
dîner, lui avait porté au cerveau. Au bout d'un instant, cet aveu fut
communiqué en allemand à la chanoinesse et au comte, qui accepta cette
espèce de justification avec un charitable empressement. Wenceslawa fut
d'abord moins indulgente; mais les soins que le comédien se donna pour lui
plaire, l'éloge respectueux qu'il sut faire, à propos, des avantages
de la noblesse, l'admiration qu'il montra pour l'ordre établi dans le
château, désarmèrent promptement cette âme bienveillante et incapable de
rancune. Elle l'écouta d'abord par désoeuvrement, et finit par causer avec
lui avec intérêt, et par convenir avec son frère que c'était un excellent
et charmant jeune homme. Lorsque Consuelo revint de sa promenade, une
heure s'était écoulée, pendant laquelle Anzoleto n'avait pas perdu son
temps. Il avait si bien regagné les bonnes grâces de la famille, qu'il
était sûr de pouvoir rester autant de jours au château qu'il lui en
faudrait pour arriver à ses fins. Il ne comprit pas ce que le vieux comte
disait à Consuelo en allemand; mais il devina, aux regards tournés vers
lui, et à l'air de surprise et d'embarras de la jeune fille, que Christian
venait de faire de lui le plus complet éloge, en la grondant un peu de ne
pas marquer plus d'intérêt à un frère aussi aimable.
«Allons, signora, dit la chanoinesse, qui, malgré son dépit contre la
Porporina, ne pouvait s'empêcher de lui vouloir du bien, et qui, de plus,
croyait accomplir un acte de religion; vous avez boudé votre frère à