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«Ceci n'est pas l'ouvrage du hasard, se dit Anzoleto après avoir encore
inutilement essayé d'ébranler sa porte. Que ce soit Consuelo (et ce serait
bon signe; sa peur me répondrait de sa faiblesse) ou que ce soit le comte
Albert, tous deux me le paieront à la fois!»
II prit le parti de se rendormir. Le dépit l'en empêcha; et peut-être
Aussi un certain malaise voisin de la crainte. Si Albert était l'auteur
de cette précaution, lui seul n'était pas dupe, dans la maison, de ses
rapports fraternels avec Consuelo. Cette dernière avait paru véritablement
épouvantée en l'avertissant de prendre garde à _cet homme terrible_.
Anzoleto avait beau se dire qu'étant fou, le jeune comte ne mettrait
peut-être pas de suite dans ses idées, ou qu'étant d'une illustre
naissance, il ne voudrait pas, suivant le préjugé du temps, se commettre
dans une partie d'honneur avec un comédien; ces suppositions ne le
rassuraient point. Albert lui avait paru un fou bien tranquille et bien
maître de lui-même; et quant à ses préjugés, il fallait qu'ils ne fussent
pas fort enracinés pour lui permettre de vouloir épouser une comédienne.
Anzoleto commença donc à craindre sérieusement d'avoir maille à partir avec
lui, avant d'en venir à ses fins, et de se faire quelque mauvaise affaire
en pure perte. Ce dénouement lui paraissait plus honteux que funeste. Il
avait appris à manier l'épée, et se flattait de tenir tête à quelque homme
de qualité que ce fût. Néanmoins il ne se sentit pas tranquille, et ne
dormit pas.
Vers cinq heures du matin, il crut entendre des pas dans le corridor, et
peu après sa porte s'ouvrit sans bruit et sans difficulté. Il ne faisait
pas encore bien jour; et en voyant un homme entrer dans sa chambre avec
aussi peu de cérémonie, Anzoleto crut que le moment décisif était venu.
Il sauta sur son stylet en bondissant comme un taureau. Mais il reconnut
aussitôt, à la lueur du crépuscule, son guide qui lui faisait signe de
parler bas et de ne pas faire de bruit.
«Que veux-tu dire avec tes simagrées, et que me veux-tu, imbécile? Dit
Anzoleto avec humeur. Comment as-tu fait pour entrer ici?
--Eh! par où, si ce n'est pas la porte, mon bon seigneur?
--La porte était fermée à clef.
--Mais vous aviez laissé la clef en dehors.
--Impossible! la voilà sur ma table.
--Belle merveille! il y en a une autre.
--Et qui donc m'a joué le tour de m'enfermer ainsi? Il n'y avait qu'une
clef hier soir: serait-ce toi, en venant chercher ma valise?
--Je jure que ce n'est pas moi, et que je n'ai pas vu de clef.
--Ce sera donc le diable! Mais que me veux-tu avec ton air affairé et
mystérieux? Je ne t'ai pas fait appeler.
--Vous ne me laissez pas le temps de parler! Vous me voyez, d'ailleurs, et
vous savez bien sans doute ce que je vous veux. La signora est arrivée sans
encombre à Tusta, et, suivant ses ordres, me voici avec mes chevaux pour
vous y conduire.»
Il fallut bien quelques instants pour qu'Anzoleto comprit de quoi il
s'agissait; mais il s'accommoda assez vite de la vérité pour empêcher que
son guide, dont les craintes superstitieuses s'effaçaient d'ailleurs avec
les ombres de la nuit, ne retombât dans ses perplexités à l'égard d'une