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gauche, un chemin qu'elle connaissait, pour avoir accompagné deux fois en
voiture la baronne Amélie à un château voisin de la petite ville de Tauss.
Ce château était le but le plus éloigné des rares courses qu'elle avait eu
occasion de faire durant son séjour à Riesenburg. Aussi l'aspect de ces
parages et la direction des routes qui les traversaient, s'étaient-ils
présentés naturellement à sa mémoire, lorsqu'elle avait conçu et réalisé
à la hâte le téméraire projet de sa fuite. Elle se rappelait qu'en la
promenant sur la terrasse de ce château, la dame qui l'habitait lui
avait dit, tout en lui faisant admirer la vaste étendue des terres qu'on
découvrait au loin: Ce beau chemin planté que vous voyez là-bas, et qui se
perd à l'horizon, va rejoindre la route du Midi, et c'est par là que nous
nous rendons à Vienne. Consuelo, avec cette indication et ce souvenir
précis, était donc certaine de ne pas s'égarer, et de regagner à une
certaine distance la route par laquelle elle était venue en Bohême. Elle
atteignit le château de Biola, longea les cours du parc, retrouva sans
peine, malgré l'obscurité, le chemin planté; et avant le jour elle avait
réussi à mettre entre elle et le point dont elle voulait s'éloigner une
distance de trois lieues environ à vol d'oiseau. Jeune, forte, et habituée
dès l'enfance à de longues marches, soutenue d'ailleurs par une volonté
audacieuse, elle vit poindre le jour sans éprouver beaucoup de fatigue.
Le ciel était serein, les chemins secs, et couverts d'un sable assez doux
aux pieds. Le galop du cheval, auquel elle n'était point habituée, l'avait
un peu brisée; mais on sait que la marche, en pareil cas, est meilleure
que le repos, et que, pour les tempéraments énergiques, une fatigue délasse
d'une autre.
Cependant, à mesure que les étoiles pâlissaient, et que le crépuscule
achevait de s'éclaircir, elle commençait à s'effrayer de son isolement.
Elle s'était sentie bien tranquille dans les ténèbres. Toujours aux aguets,
elle s'était crue sûre, en cas de poursuite, de pouvoir se cacher avant
d'être aperçue; mais au jour, forcée de traverser de vastes espaces
découverts, elle n'osait plus suivre la route battue; d'autant plus qu'elle
vit bientôt des groupes se montrer au loin, et se répandre comme des points
noirs sur la raie blanche que dessinait le chemin au milieu des terres
encore assombries. Si peu loin de Riesenburg, elle pouvait être reconnue
par le premier passant; et elle prit le parti de se jeter dans un sentier
qui lui sembla devoir abréger son chemin, en allant couper à angle droit le
détour que la route faisait autour d'une colline. Elle marcha encore ainsi
près d'une heure sans rencontrer personne, et entra dans un endroit boisé,
où elle put espérer de se dérober facilement aux regards.
«Si je pouvais ainsi gagner, pensait-elle, une avance de huit à dix lieues
sans être découverte, je marcherais ensuite tranquillement sur la grande
route; et, à la première occasion favorable, je louerais une voiture et des
chevaux.»
Cette pensée lui fit porter la main à sa poche pour y prendre sa bourse,
Et calculer ce qu'après son généreux paiement au guide qui l'avait fait
Sortir de Riesenburg, il lui restait d'argent pour entreprendre ce long et
Difficile voyage. Elle ne s'était pas encore donné le temps d'y réfléchir;
et si elle eût fait toutes les réflexions que suggérait la prudence,
eût-elle résolu cette fuite aventureuse? Mais quelles furent sa surprise