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mon sac un habillement complet, absolument neuf, qui vous déguisera
parfaitement. Voici l'histoire de cet habillement: c'est un envoi de ma
brave femme de mère, qui, croyant me faire un cadeau très-utile, et voulant
me savoir équipé convenablement pour me présenter à l'ambassade, et donner
des leçons aux demoiselles, s'est avisée de me faire faire dans son village
un costume des plus élégants, à la mode de chez nous. Certes, le costume
est pittoresque, et les étoffes bien choisies; vous allez voir! Mais
imaginez-vous l'effet que j'aurais produit à l'ambassade, et le fou rire
qui se serait emparé de la nièce de M. de Métastasio, si je m'étais montré
avec cette rustique casaque et ce large pantalon bouffant! J'ai remercié ma
pauvre mère de ses bonnes intentions, et je me suis promis de vendre le
costume à quelque paysan au dépourvu, ou à quelque comédien en voyage.
Voilà pourquoi je l'ai emporté avec moi; mais par bonheur je n'ai pu
trouver l'occasion de m'en défaire. Les gens de ce pays-ci prétendent que
la mode de cet habit est antique, et ils demandent si cela est polonais ou
turc.
--Eh bien, l'occasion est trouvée, s'écria Consuelo en riant; votre idée
était excellente, et la comédienne en voyage s'accommode de votre habit à
la turque, qui ressemble assez à un jupon. Je vous achète ceci à crédit
toutefois, ou pour mieux dire à condition que vous allez être le caissier
de notre _chatouille_, comme dit le roi de Prusse de son trésor, et que
vous m'avancerez la dépense de mon voyage jusqu'à Vienne.
--Nous verrons cela, dit Joseph en mettant la bourse dans sa poche, et en
se promettant bien de ne pas se laisser payer. Maintenant reste à savoir si
l'habit vous est commode. Je vais m'enfoncer dans ce bois, tandis que vous
entrerez dans ces rochers. Ils vous offriront plus d'un cabinet de toilette
sûr et spacieux.
--Allez, et paraissez sur la scène, répondit Consuelo en lui montrant la
forêt: moi, je rentre dans la coulisse.
Et, se retirant dans les rochers, tandis que son respectueux compagnon
s'éloignait consciencieusement, elle procéda sur-le-champ à sa
transformation. La fontaine lui servit de miroir lorsqu'elle sortit de sa
retraite, et ce ne fut pas sans un certain plaisir qu'elle y vit apparaître
le plus joli petit paysan que la race slave eût jamais produit. Sa taille
fine et souple comme un jonc jouait dans une large ceinture de laine rouge;
et sa jambe, déliée comme celle d'une biche, sortait modestement un peu
au-dessus de la cheville des larges plis du pantalon. Ses cheveux noirs,
qu'elle avait persévéré à ne pas poudrer, avaient été coupés dans sa
maladie, et bouclaient naturellement autour de son visage. Elle y passa ses
doigts pour leur donner tout à fait la négligence rustique qui convient à
un jeune pâtre; et, portant son costume avec l'aisance du théâtre, sachant
même, grâce à son talent mimique, donner tout à coup une expression de
simplicité sauvage à sa physionomie, elle se trouva si bien déguisée que le
courage et la sécurité lui vinrent en un instant. Ainsi qu'il arrive aux
acteurs dès qu'ils ont revêtu leur costume, elle se sentit dans son rôle,
et s'identifia même avec le personnage qu'elle allait jouer, au point
d'éprouver en elle-même comme l'insouciance, le plaisir d'un vagabondage
innocent, la gaîté, la vigueur et la légèreté de corps d'un garçon faisant
l'école buissonnière.