37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 341

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pierres qui assujettissaient le pied de la croix. Alors, se tournant du

côté de l'horizon derrière lequel devait être Riesenburg, elle donna sa

voix dans toute son étendue pour chanter le verset du cantique espagnol:

O Consuelo de mi alma, etc.

«Mon Dieu, mon Dieu! disait Haydn en se parlant à lui-même lorsqu'elle eut

fini, je n'avais jamais entendu chanter; je ne savais pas ce que c'est que

le chant! Y a-t-il donc d'autres voix humaines semblables à celle-ci?

Pourrai-je jamais entendre quelque chose do comparable à ce qui m'est

révélé aujourd'hui? O musique! Sainte musique! ô génie de l'art! que tu

m'embrases, et que tu m'épouvantes!»

Consuelo redescendit de la pierre, où comme une madone elle avait dessiné

sa silhouette élégante dans le bleu transparent de la nuit. A son tour,

inspirée à la manière d'Albert, elle s'imagina qu'elle le voyait, à

travers les bois, les montagnes et les vallées, assis sur la pierre du

Schreckenstein, calme, résigné, et rempli d'une sainte espérance. «Il m'a

entendue, pensait-elle, il a reconnu ma voix et le chant qu'il aime. Il m'a

comprise, et maintenant il va rentrer au château, embrasser son père, et

peut-être s'endormir paisiblement.»

«Tout va bien,» dit-elle à Joseph sans prendre garde à son délire

d'admiration.

Puis, retournant sur ses pas, elle déposa un baiser sur le bois grossier de

la croix. Peut-être en cet instant, par un rapprochement bizarre, Albert

éprouva-t-il comme une commotion électrique qui détendit les ressorts de sa

volonté sombre, et fit passer jusqu'aux profondeurs les plus mystérieuses

de son âme les délices d'un calme divin. Peut-être fut-ce le moment précis

du profond et bienfaisant sommeil où il tomba, et où son père, inquiet et

matinal, eut la satisfaction de le retrouver plongé le lendemain au retour

de l'aurore.

Le hameau dont ils avaient aperçu les feux dans l'ombre n'était qu'une

vaste ferme où ils furent reçus avec hospitalité. Une famille de bons

laboureurs mangeait en plein air devant la porte, sur une table de

bois brut, à laquelle on leur fit place, sans difficulté comme sans

empressement. On ne leur adressa point de questions, on les regarda à

peine. Ces braves gens, fatigués d'une longue et chaude journée de travail,

prenaient leur repas en silence, livrés à la béate jouissance d'une

alimentation simple et copieuse. Consuelo trouva le souper délicieux.

Joseph oublia de manger, occupé qu'il était à regarder cette pâle et noble

figure de Consuelo au milieu de ces larges faces hâlées de paysans, douces

et stupides comme celles de leurs boeufs qui paissaient l'herbe autour

d'eux, et ne faisaient guère un plus grand bruit de mâchoires en ruminant

avec lenteur.

Chacun des convives se retira silencieusement en faisant un signe de croix,

aussitôt qu'il se sentit repu, et alla se livrer au sommeil, laissant

les plus robustes prolonger les douceurs de la table autant qu'ils le

jugeraient à propos. Les femmes qui les servaient s'assirent à leurs

places, dès qu'ils se furent tous levés, et se mirent à souper avec les

enfants. Plus animées et plus curieuses, elles retinrent et questionnèrent

les jeunes voyageurs. Joseph se chargea des contes qu'il tenait tout prêts

pour les satisfaire, et ne s'écarta guère de la vérité, quant au fond, en

leur disant que lui et son camarade étaient de pauvres musiciens ambulants.