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étaient capables de mauvaises intentions, ils les suivraient dans la
campagne pour les attaquer. Consuelo, ayant fait toutes ces réflexions,
se tint tranquille; mais elle enlaça son bras à celui de Joseph, par un
sentiment de frayeur bien naturelle et de confiance bien fondée en sa
sollicitude.
Quand la pluie cessa, comme ils n'avaient dormi ni l'un ni l'autre, ils
Se disposaient à partir, lorsqu'ils entendirent remuer leurs compagnons
inconnus, qui se levèrent et s'entretinrent à voix basse dans un argot
incompréhensible. Après avoir soulevé de lourds paquets qu'ils chargèrent
sur leurs dos, ils se retirèrent en échangeant avec le chevrier quelques
mots allemands qui firent juger à Joseph qu'ils faisaient la contrebande,
et que leur hôte était dans la confidence. Il n'était guère que minuit,
la lune se levait, et, à la lueur d'un rayon qui tombait obliquement
sur la porte entr'ouverte, Consuelo vit briller leurs armes, tandis qu'ils
s'occupaient à les cacher sous leurs manteaux. En même temps, elle s'assura
qu'il n'y avait plus personne dans la hutte, et le chevrier lui-même l'y
laissa seule avec Haydn; car il suivit les contrebandiers, pour les guider
dans les sentiers de la montagne, et leur enseigner un passage à la
frontière, connu, disait-il, de lui seul.
«Si tu nous trompes, au premier soupçon je te fais sauter la cervelle,»
lui dit un de ces hommes à figure énergique et grave.
Ce fut la dernière parole que Consuelo entendit. Leurs pas mesurés firent
craquer le gravier pendant quelques instants. Le bruit d'un ruisseau
voisin, grossi par la pluie, couvrit celui de leur marche, qui se perdait
dans l'éloignement.
«Nous avions tort de les craindre, dit Joseph sans quitter cependant le
bras de Consuelo qu'il pressait toujours contre sa poitrine. Ce sont des
gens qui évitent les regards encore plus que nous.
--Et à cause de cela, je crois que nous avons couru quelque danger,
répondit Consuelo. Quand vous les avez heurtés dans l'obscurité, vous avez
bien fait de ne rien répondre à leurs jurements; ils vous ont pris pour
un des leurs. Autrement, ils nous auraient peut-être craints comme des
espions, et nous auraient fait un mauvais parti. Grâce à Dieu, il n'y a
plus rien à craindre, et nous voilà enfin seuls.
--Reposez-vous donc, dit Joseph en sentant à regret le bras de Consuelo se
détacher du sien. Je veillerai encore, et au jour nous partirons.»
Consuelo avait été plus fatiguée par la peur que par la marche; elle était
si habituée à dormir sous la garde de son ami, qu'elle céda au sommeil.
Mais Joseph, qui avait pris, lui aussi, après bien des agitations,
l'habitude de dormir auprès d'elle, ne put cette fois goûter aucun repos.
Cette main de Consuelo, qu'il avait tenue toute tremblante dans la sienne
pendant deux heures, ces émotions de terreur et de jalousie qui avaient
réveillé toute l'intensité de son amour, et jusqu'à cette dernière parole
que Consuelo lui disait en s'endormant: «Nous voilà enfin seuls!»
allumaient en lui une fièvre brûlante. Au lieu de se retirer au fond de la
hutte pour lui témoigner son respect, comme il avait accoutumé de faire,
voyant qu'elle-même ne songeait pas à s'éloigner de lui, il resta assis à
ses côtés; et les palpitations de son coeur devinrent si violentes, que
Consuelo eût pu les entendre, si elle n'eût pas été endormie. Tout