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sapins, et les rayons de la lune qui se glissaient par une fente de la
toiture, et venaient éclairer faiblement le visage pâle de Consuelo encadré
dans ses cheveux noirs; enfin, ce je ne sais quoi de terrible et de
farouche qui passe de la nature extérieure dans le coeur de l'homme
quand la vie est sauvage autour de lui. Il commençait à se calmer et à
s'assoupir, lorsqu'il crut sentir des mains sur sa poitrine. Il bondit
sur la fougère, et saisit dans ses bras un petit chevreau qui était venu
s'agenouiller et se réchauffer sur son sein. Il le caressa, et, sans savoir
pourquoi, il le couvrit de larmes et de baisers. Enfin le jour parut; et en
voyant plus distinctement le noble front et les traits graves et purs de
Consuelo, il eut honte de ses tourments. Il sortit pour aller tremper son
visage et ses cheveux dans l'eau glacée du torrent. Il semblait vouloir se
purifier des pensées coupables qui avaient embrasé son cerveau.
Consuelo vint bientôt l'y joindre, et faire la même ablution pour dissiper
l'appesantissement du sommeil et se familiariser courageusement avec
l'atmosphère du matin, comme elle faisait gaiement tous les jours. Elle
s'étonna de voir Haydn si défait et si triste.
«Oh! pour le coup, frère Beppo, lui dit-elle, vous ne supportez pas aussi
bien que moi les fatigues et les émotions; vous voilà aussi pâle que ces
petites fleurs qui ont l'air de pleurer sur la face de l'eau.
--Et vous, vous êtes aussi fraîche que ces belles roses sauvages qui ont
l'air de rire sur ses bords, répondit Joseph. Je crois bien que je sais
braver la fatigue, malgré ma figure terne; mais l'émotion, il est vrai,
signora, que je ne sais guère la supporter.»
Il fut triste pendant toute la matinée; et lorsqu'ils s'arrêtèrent pour
manger du pain et des noisettes dans une belle prairie en pente rapide,
sous un berceau de vigne sauvage, elle le tourmenta de questions si
ingénues pour lui faire avouer la cause de son humeur sombre, qu'il ne put
s'empêcher de lui faire une réponse où entrait un grand dépit contre
lui-même et contre sa propre destinée.
«Eh bien, puisque vous voulez le savoir, dit-il, je songe que je suis bien
malheureux; car j'approche tous les jours un peu plus de Vienne, où ma
destinée est engagée, bien que mon coeur ne le soit pas. Je n'aime pas ma
fiancée; je sens que je ne l'aimerai jamais, et pourtant j'ai promis, et je
tiendrai parole.
--Serait-il possible? s'écria Consuelo, frappée de surprise. En ce cas, mon
pauvre Beppo, nos destinées, que je croyais conformes en bien des points,
sont donc entièrement opposées; car vous courez vers une fiancée que vous
n'aimez pas, et moi, je fuis un fiancé que j'aime. Étrange fortune! qui
donne aux uns ce qu'ils redoutent, pour arracher aux autres ce qu'ils
chérissent.»
Elle lui serra affectueusement la main en parlant ainsi, et Joseph vit bien
que cette réponse ne lui était pas dictée par le soupçon de sa témérité et
le désir de lui donner une leçon. Mais la leçon n'en fut que plus efficace.
Elle le plaignait de son malheur et s'en affligeait avec lui, tout en lui
montrant, par un cri du coeur, sincère et profond, qu'elle en aimait un
autre sans distraction et sans défaillance.
Ce fut la dernière folie de Joseph envers elle. Il prit son violon, et, le
raclant avec force, il oublia cette nuit orageuse. Quand ils se remirent en