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les souvenirs confus qui nous les ont transmis. Il nous suffira de dire que
la première moitié de ce voyage fut, en somme, plus agréable que pénible,
jusqu'au moment d'une aventure que nous ne pouvons nous dispenser de
rapporter.
Ils avaient suivi, dès la source, la rive septentrionale de la Moldaw,
parce qu'elle leur avait semblé la moins fréquentée et la plus pittoresque.
Ils descendirent donc, pendant tout un jour, la gorge encaissée qui
se prolonge en s'abaissant dans la même direction que le Danube; mais
quand ils furent à la hauteur de Schenau, voyant la chaîne de montagnes
s'abaisser vers la plaine, ils regrettèrent de n'avoir pas suivi l'autre
rive du fleuve, et par conséquent l'autre bras de la chaîne qui s'éloignait
en s'élevant du côté de la Bavière. Ces montagnes boisées leur offraient
plus d'abris naturels et de sites poétiques que les vallées de la Bohême.
Dans les stations qu'ils faisaient de jour dans les forêts, ils s'amusaient
à chasser les petits oiseaux à la glu et au lacet; et quand, après leur
sieste, ils trouvaient leurs pièges approvisionnés de ce menu gibier, ils
faisaient avec du bois mort une cuisine en plein vent qui leur paraissait
somptueuse. On n'accordait la vie qu'aux rossignols, sous prétexte que ces
oiseaux musiciens étaient des confrères.
Nos pauvres enfants allaient donc cherchant un gué, et ne le trouvaient
pas; la rivière était rapide, encaissée, profonde, et grossie par les
pluies des jours précédents. Ils rencontrèrent enfin un abordage auquel
était amarrée une petite barque gardée par un enfant. Ils hésitèrent un
peu à s'en approcher, en voyant plusieurs personnes s'en approcher avant
eux et marchander le passage. Ces hommes se divisèrent après s'être dit
adieu. Trois se préparèrent à suivre la rive septentrionale de la Moldaw,
tandis que les deux autres entrèrent dans le bateau. Cette circonstance
détermina Consuelo.
«Rencontre à droite, rencontre à gauche, dit-elle à Joseph; autant vaut
traverser, puisque c'était notre intention.»
Haydn hésitait encore et prétendait que ces gens avaient mauvaise mine, le
parler haut et des manières brutales, lorsqu'un d'entre eux, qui semblait
vouloir démentir cette opinion défavorable, fit arrêter le batelier, et,
s'adressant à Consuelo:
«Hé! mon enfant! approchez donc, lui cria-t-il en allemand et en lui
faisant signe d'un air de bienveillance enjouée; le bateau n'est pas bien
chargé, et vous pouvez passer avec nous, si vous en avez envie.
--Bien obligé, Monsieur, répondit Haydn; nous profiterons de votre
permission.
--Allons, mes enfants, reprit celui qui avait déjà parlé, et que son
compagnon appelait M. Mayer; allons, sautez!»
Joseph, à peine assis dans la barque, remarqua que les deux inconnus
regardaient alternativement Consuelo et lui avec beaucoup d'attention et
de curiosité. Cependant la figure de ce M. Mayer n'annonçait que douceur
et gaieté; sa voix était agréable, ses manières polies, et Consuelo prenait
confiance dans ses cheveux grisonnants et dans son air paternel.
«Vous êtes musicien, mon garçon? dit-il bientôt à cette dernière.
--Pour vous servir, mon bon Monsieur, répondit Joseph.
--Vous aussi? dit M. Mayer à Joseph; et, lui montrant Consuelo:--C'est