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--Non, Monsieur, c'est mon ami, dit Joseph; nous ne sommes pas de même
nation, et il entend peu l'allemand.
--De quel pays est-il donc? continua M. Mayer en regardant toujours
Consuelo.
--De l'Italie, Monsieur, répondit encore Haydn.
--Vénitien, Génois, Romain, Napolitain ou Calabrais? dit M. Mayer en
articulant chacune de ces dénominations dans le dialecte qui s'y rapporte,
avec une admirable facilité.
--Oh! Monsieur, je vois bien que vous pouvez parler avec toutes sortes
d'Italiens, répondit enfin Consuelo, qui craignait de se faire remarquer
par un silence prolongé; moi je suis de Venise.
--Ah! c'est un beau pays! reprit M. Mayer en se servant tout de suite du
dialecte familier à Consuelo. Est-ce qu'il y a longtemps que vous l'avez
quitté?
--Six mois seulement.
--Et vous courez le pays en jouant du violon?
--Non; c'est lui qui accompagne, répondit Consuelo en montrant Joseph; moi
je chante.
--Et vous ne jouez d'aucun instrument? ni hautbois, ni flûte, ni tambourin?
--Non; cela m'est inutile.
--Mais si vous êtes bon musicien, vous apprendriez facilement, n'est-ce
pas?
--Oh! certainement, s'il le fallait!
--Mais vous ne vous en souciez pas?
--Non, j'aime mieux chanter.
--Et vous avez raison; cependant vous serez forcé d'en venir là, ou de
changer de profession, du moins pendant un certain temps.
--Pourquoi cela, Monsieur?
--Parce que votre voix va bientôt muer, si elle n'a commencé déjà. Quel âge
avez-vous? quatorze ans, quinze ans, tout au plus?
--Quelque chose comme cela.
--Eh bien, avant qu'il soit un an, vous chanterez comme une petite
grenouille, et il n'est pas sûr que vous redeveniez un rossignol. C'est
une épreuve douteuse pour un garçon que de passer de l'enfance à la
jeunesse. Quelquefois on perd la voix en prenant de la barbe. A votre
place, j'apprendrais à jouer du fifre; avec cela on trouve toujours à
gagner sa vie.
--Je verrai, quand j'en serai là.
--Et vous, mon brave? dit M. Mayer en s'adressant à Joseph en allemand, ne
jouez-vous que du violon?
--Pardon, Monsieur, répondit Joseph qui prenait confiance à son tour en
voyant que le bon Mayer ne causait aucun embarras à Consuelo; je joue un
peu de plusieurs instruments.
--Lesquels, par exemple?
--Le piano, la harpe, la flûte; un peu de tout quand je trouve l'occasion
d'apprendre.
--Avec tant de talents, vous avez grand tort de courir les chemins comme
vous faites; c'est un rude métier. Je vois que votre compagnon, qui est
encore plus jeune et plus délicat que vous, n'en peut déjà plus, car il