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M. Mayer ne manqua pas de revenir. Par ce moyen, ils gagnèrent toute sa
confiance, et le mirent à même de trouver quelque expédient pour leur
avouer honnêtement qu'il les y menait sans leur permission. L'expédient fut
bientôt trouvé. M. Mayer n'était pas novice dans ces sortes d'enlèvements.
Il y eut un dialogue animé en langue étrangère entre ces trois individus,
M. Mayer, le signor Pistola, et le silencieux. Et puis tout à coup ils se
mirent à parler allemand, et comme s'ils continuaient le même sujet:
«Je vous le disais bien; s'écria M. Mayer, nous avons fait fausse route; à
preuve que leur voiture ne reparaît pas. Il y a plus de deux heures que
nous les avons laissés derrière nous, et j'ai eu beau regarder à la montée,
je n'ai rien aperçu.
--Je ne la vois pas du tout! dit le conducteur en sortant la tête de la
voiture, et en la rentrant d'un air découragé.»
Consuelo avait fort bien remarqué, dès la première montée, la disparition
de cette autre voiture avec laquelle on était parti de Bibereck.
«J'étais bien sûr que nous étions égarés, observa Joseph; mais je ne
voulais pas le dire.
--Eh! pourquoi diable ne le disiez-vous pas? reprit le silencieux,
affectant un grand déplaisir de cette découverte.
--C'est que cela m'amusait! dit Joseph, inspiré par l'innocent
machiavélisme de Consuelo; c'est drôle de se perdre en voiture! je croyais
que cela n'arrivait qu'aux piétons.
--Ah bien! voilà qui m'amuse aussi, dit Consuelo. Je voudrais à présent que
nous fussions sur la route de Dresde!
--Si je savais où nous sommes, repartit M. Mayer, je me réjouirais avec
vous, mes enfants; car je vous avoue que j'étais assez mécontent d'aller à
Passaw pour le bon plaisir de messieurs mes amis, et je voudrais que nous
nous fussions assez détournés pour avoir un prétexte de borner là notre
complaisance envers eux.
--Ma foi, monsieur le professeur, dit Joseph, il en sera ce qu'il vous
plaira; ce sont vos affaires. Si nous ne vous gênons pas, et si vous voulez
toujours de nous pour aller à Dresde, nous voilà tout prêts à vous suivre,
fut-ce au bout du monde. Et toi, Bertoni, qu'en dis-tu?
--J'en dis autant, répondit Consuelo. Vogue la galère!
--Vous êtes de braves enfants! répondit Mayer en cachant sa joie sous son
air de préoccupation; mais je voudrais bien savoir pourtant où nous sommes.
--Où que nous soyons, il faut nous arrêter, dit le conducteur; le cheval
n'en peut plus. Il n'a rien mangé depuis hier soir, et il a marché toute la
nuit. Nous ne serons fâchés, ni les uns ni les autres, de nous restaurer
aussi. Voici un petit bois. Nous avons encore quelques provisions; halte!»
On entra dans le bois, le cheval fut dételé. Joseph et Consuelo offrirent
leurs services avec empressement; on les accepta sans méfiance. On pencha
la chaise sur ses brancards; et, dans ce mouvement, la position du
prisonnier invisible devenant sans doute plus douloureuse, Consuelo
l'entendit encore gémir; Mayer l'entendit aussi, et regarda fixement
Consuelo pour voir si elle s'en était aperçue. Mais, malgré la pitié qui
déchirait son coeur, elle sut paraître sourde et impassible. Mayer fit
le tour de la voiture, Consuelo, qui s'était éloignée, le vit ouvrir à
l'extérieur une petite porte de derrière, jeter un coup d'oeil dans