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lieu d'où nous sommes partis. Que l'un des trois monte à cheval, et il nous
rattrapera avant que nous ayons gagné le bas du terrain.
--C'est ce qu'il faut voir, dit Consuelo. On court vite en descendant. Je
vois quelque chose là-bas sur le chemin, quelque chose qui monte de ce
côté. Il ne s'agit que de l'atteindre avant d'être atteints nous-mêmes.
Allons!»
Il n'y avait pas de temps à perdre en délibérations. Joseph se fia aux
inspirations de Consuelo: la colline fut descendue par eux en un instant,
et ils avaient gagné les premiers massifs, lorsqu'ils entendirent les voix
de leurs ennemis à la lisière du bois. Cette fois, ils se gardèrent de
répondre, et coururent encore, à la faveur des arbres et des buissons,
jusqu'à ce qu'ils rencontrèrent un ruisseau encaissé, que ces mêmes arbres
leur avaient caché. Une longue planche servait de pont; ils traversèrent,
et jetèrent ensuite la planche au fond de l'eau.
Arrivés à l'autre rive, ils la descendirent, toujours protégés par une
épaisse végétation; et, ne s'entendant plus appeler, ils jugèrent qu'on
avait perdu leurs traces, ou bien qu'on ne se méprenait plus sur leurs
intentions, et qu'on cherchait à les atteindre par surprise. Mais bientôt
la végétation du rivage fut interrompue, et ils s'arrêtèrent, craignant
d'être vus. Joseph avança la tête avec précaution parmi les dernières
broussailles, et vit un des brigands en observation à la sortie du bois, et
l'autre (vraisemblablement le signor Pistola, dont ils avaient déjà éprouvé
la supériorité à la course), au bas de la colline, non loin de la rivière.
Tandis que Joseph s'assurait de la position de l'ennemi, Consuelo s'était
dirigée du côté de la route; et tout à coup elle revint vers Joseph:
«C'est une voiture qui vient, lui dit-elle, nous sommes sauvés! Il faut la
joindre avant que celui qui nous poursuit se soit avisé de passer l'eau.»
Ils coururent dans la direction de la route en droite ligne, malgré la
nudité du terrain; la voiture venait à eux au galop.
«Oh! mon Dieu! dit Joseph, si c'était l'autre voiture, celle des complices?
--Non, répondit Consuelo, c'est une berline à six chevaux, deux postillons,
et deux courriers; nous sommes sauvés, te dis-je, encore un peu de
courage.»
Il était bien temps d'arriver au chemin; le Pistola avait retrouvé
l'empreinte de leurs pieds sur le sable au bord du ruisseau. Il avait la
force et la rapidité d'un sanglier. Il vit bientôt dans quel endroit la
trace disparaissait, et les pieux qui avaient assujetti la planche. Il
devina la ruse, franchit l'eau à la nage, retrouva la marque des pas sur la
rive, et, les suivant toujours, il venait de sortir des buissons; il voyait
les deux fugitifs traverser la bruyère ... mais il vit aussi la voiture; il
comprit leur dessein, et, ne pouvant plus s'y opposer, il rentra dans les
broussailles et s'y tint sur ses gardes.
Aux cris des deux jeunes gens, qui d'abord furent pris pour des mendiants,
la berline ne s'arrêta pas. Les voyageurs jetèrent quelques pièces de
monnaie; et leurs courriers d'escorte, voyant que nos fugitifs, au lieu de
les ramasser, continuaient à courir en criant à la portière, marchèrent sur
eux au galop pour débarrasser leurs maîtres de cette importunité. Consuelo,
essoufflée et perdant ses forces comme il arrive presque toujours au moment
du succès, ne pouvait faire sortir un son de son gosier, et joignait les