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--Oh! vous faites bien, Messieurs,» s'écria Consuelo, à qui l'impétuosité
de son coeur fit oublier un instant son humble rôle, et qui pressa de ses
deux mains le bras du comte.
Le comte, surpris d'une telle familiarité de la part d'un petit drôle de
cette espèce, regarda sa manche d'un air de dégoût railleur, la secoua,
et releva ses yeux avec une lenteur méprisante sur Consuelo qui ne put
s'empêcher de sourire, en se rappelant avec quelle ardeur le comte
Zustiniani et tant d'autres illustrissimes Vénitiens lui avaient demandé,
en d'autres temps, la faveur de baiser une de ces mains dont l'insolence
paraissait maintenant si choquante. Soit qu'il y eût en elle, en cet
instant, un rayonnement de fierté calme et douce qui démentait les
apparences de sa misère, soit que sa facilité à parler la langue du bon ton
en Allemagne fit penser qu'elle était un jeune gentilhomme travesti, soit
enfin que le charme de son sexe se fit instinctivement sentir, le comte
changea de physionomie tout à coup, et, au lieu d'un sourire de mépris, lui
adressa un sourire de bienveillance. Le comte était encore jeune et beau;
on eût pu être ébloui des avantages de sa personne, si le baron ne l'eût
surpassé en jeunesse, en régularité de traits, et en luxe de stature.
C'étaient les deux plus beaux hommes de leur temps, comme on le disait
d'eux, et probablement de beaucoup d'autres.
Consuelo, voyant les regards expressifs du jeune baron s'attacher aussi sur
elle avec une expression d'incertitude, de surprise et d'intérêt, détourna
leur attention de sa personne en leur disant:
«Allez, Messieurs, ou plutôt venez; nous vous servirons de guides. Ces
bandits ont dans leur voiture un malheureux caché dans un compartiment de
la caisse, enfermé comme dans un cachot. Il est là pieds et poings liés,
mourant, ensanglanté, et un bâillon dans la bouche. Allez le délivrer;
cela convient à de nobles coeurs comme les vôtres!
--Vive Dieu, cet enfant est fort gentil! s'écria le baron, et je vois,
cher comte, que nous n'avons pas perdu notre temps à l'écouter. C'est
peut-être un brave gentilhomme que nous allons tirer des mains de ces
bandits.
--Vous dites qu'ils sont là? reprit le comte en montrant le bois.
--Oui, dit Joseph; mais ils sont dispersés, et si vos seigneuries veulent
bien écouter mon humble avis, elles diviseront l'attaque. Elles monteront
la côte dans leur voiture, aussi vite que possible, et, après avoir tourné
la colline, elles trouveront à la hauteur du bois que voici, et tout à
l'entrée, sur la lisière opposée, la voiture où est le prisonnier, tandis
que je conduirai messieurs les cavaliers directement par la traverse. Les
bandits ne sont que trois; ils sont bien armés; mais, se voyant pris des
deux côtés à la fois, ils ne feront pas de résistance.
--L'avis est bon, dit le baron. Comte, restez dans la voiture, et
faites-vous accompagner de votre domestique. Je prends son cheval. Un de
ces enfants vous servira de guide pour savoir en quel lieu il faut vous
arrêter. Moi, j'emmène celui-ci avec mon chasseur. Hâtons-nous; car si nos
brigands ont l'éveil, comme il est probable, ils prendront les devants.
--La voiture ne peut vous échapper, observa Consuelo; leur cheval est sur
les dents.»
Le baron sauta sur celui du domestique du comte, et ce domestique monta