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--Monsieur le baron est-il content aussi de mon camarade? dit Consuelo à
Trenk, qui était redevenu pensif.
--Si content, répondit-il, que si je fais quelque séjour à Vienne, je ne
veux pas d'autre maître que lui.
--Je vous enseignerai la viole d'amour, reprit le comte, et je vous demande
la préférence.
--J'aime mieux le violon et ce professeur-là,» repartit le baron, qui, dans
ses préoccupations, avait une franchise incomparable.
Il prit le violon, et joua de mémoire avec beaucoup de pureté et
d'expression quelques passages du morceau que Joseph venait de dire; puis
le lui rendant:
«Je voulais vous faire voir, lui dit-il avec une modestie très-réelle, que
je ne suis bon qu'à devenir votre écolier mais que je puis apprendre avec
attention et docilité.»
Consuelo le pria de jouer autre chose, et il le fit sans affectation.
Il avait du talent, du goût et de l'intelligence. Hoditz donna des éloges
exagérés à la composition du morceau.
«Elle n'est pas très-bonne, répondit Trenk, car elle est de moi; je l'aime
pourtant, parce qu'elle a plu à _ma princesse_.»
Le comte fît une grimace terrible pour l'avertir de peser ses paroles.
Trenk n'y prit pas seulement garde, et, perdu dans ses pensées, il fit
courir l'archet sur les cordes pendant quelques instants; puis jetant le
violon sur la table, il se leva, et marcha à grands pas en passant sa main
sur son front. Enfin il revint vers le comte, et lui dit:
«Je vous souhaite le bonsoir, mon cher comte. Je suis forcé de partir
avant le jour, car la voiture que j'ai fait demander doit me prendre ici
à trois heures du matin. Puisque vous y passez toute la matinée, je ne vous
reverrai probablement qu'à Vienne. Je serai heureux de vous y retrouver, et
de vous remercier encore de l'agréable bout de chemin que vous m'avez fait
faire en votre compagnie. C'est de coeur que je vous suis dévoué pour la
vie.»
Ils se serrèrent la main à plusieurs reprises, et, au moment de quitter
l'appartement, le baron, s'approchant de Joseph, lui remit quelques pièces
d'or en lui disant:
«C'est un à-compte sur les leçons que je vous demanderai à Vienne; vous me
trouverez à l'ambassade de Prusse.»
Il fit un petit signe de tête à Consuelo, en lui disant:
«Toi, si jamais je te retrouve tambour ou trompette dans mon régiment,
nous déserterons ensemble, entends-tu?»
Et il sortit, après avoir encore salué le comte.
FIN DU TOME DEUXIÈME.
CONSUELO
PAR
GEORGE SAND
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS, RUE VIVIENNE 2 BIS, PARIS
Tous droits réservés
1861
TOME TROISIÈME
[Note: l'orthographe originale de George Sand a été conservée tout au long