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pas le moins du monde, je t'en avertis. Où sont nos effets, Joseph?
--Dans la cuisine. Je vais les prendre pour les monter dans nos chambres,
qui sont charmantes, à ce qu'on m'a dit. Vous allez donc enfin vous
reposer!
--Bon Joseph, dit Consuelo en haussant les épaules. Allons, reprit-elle,
va vite chercher ton paquet, et renonce à ta jolie chambre et au bon lit
où tu prétendais si bien dormir. Nous quittons cette maison à l'instant
même; m'entends-tu? Dépêche-toi, car on va sûrement fermer les portes.»
Haydn crut rêver.
«Par exemple! s'écria-t-il: ces grands seigneurs seraient-ils aussi des
racoleurs?
--Je crains encore plus le Hoditz que le Mayer, répondit Consuelo avec
impatience. Allons, cours, n'hésite pas, ou je te laisse et je pars seule.»
Il y avait tant de résolution et d'énergie dans le ton et la physionomie de
Consuelo, que Haydn, éperdu et bouleversé, lui obéit à la hâte. Il revint
au bout de trois minutes avec le sac qui contenait les cahiers et les
hardes; et, trois minutes après, sans avoir été remarqués de personne, ils
étaient sortis du palais, et gagnaient le faubourg à l'extrémité de la
ville.
Ils entrèrent dans une chétive auberge, et louèrent deux petites chambres
qu'ils payèrent d'avance, afin de pouvoir partir d'aussi bonne heure qu'ils
voudraient sans éprouver de retard.
«Ne me direz-vous pas au moins le motif de cette nouvelle alerte? Demanda
Haydn à Consuelo en lui souhaitant le bonsoir sur le seuil de sa chambre.
--Dors tranquille, lui répondit-elle, et apprends en deux mots que nous
n'avons pas grand'chose à craindre maintenant. M. le comte a deviné avec
son coup d'oeil d'aigle que je ne suis point de son sexe, et il m'a fait
l'honneur d'une déclaration qui a singulièrement flatté mon amour-propre.
Bonsoir, ami Beppo; nous décampons avant le jour. Je secouerai ta porte
pour te réveiller.»
Le lendemain, le soleil levant éclaira nos jeunes voyageurs voguant sur le
Danube et descendant son cours rapide avec une satisfaction aussi pure et
des coeurs aussi légers que les ondes de ce beau fleuve. Ils avaient payé
leur passage sur la barque d'un vieux batelier qui portait des marchandises
à Lintz. C'était un brave homme, dont ils furent contents, et qui ne gêna
pas leur entretien. Il n'entendait pas un mot d'italien, et, son bateau
étant suffisamment chargé, il ne prit pas d'autres voyageurs, ce qui leur
donna enfin la sécurité et le repos de corps et d'esprit dont ils avaient
besoin pour jouir complètement du beau spectacle que présentait leur
navigation à chaque instant. Le temps était magnifique. Il y avait dans
le bateau une petite cale fort propre, où Consuelo pouvait descendre
pour reposer ses yeux de l'éclat des eaux; mais elle s'était si bien
habituée les jours précédents au grand air et au grand soleil, qu'elle
préféra passer presque tout le temps couchée sur les ballots, occupée
délicieusement à voir courir les rochers et les arbres du rivage, qui
semblaient fuir derrière elle. Elle put faire de la musique à loisir avec
Haydn, et le souvenir comique du mélomane Hoditz, que Joseph appelait
Le _maestromane_, mêla beaucoup de gaieté à leurs ramages. Joseph le
contrefaisait à merveille, et ressentait une joie maligne à l'idée de son