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et de demander dans les bureaux de l'administration qu'on vous signale
en quelque lieu que vous soyez. Il n'aura pas manqué de faire les mêmes
déclarations dans chaque ville importante où il aura passé, et de prendre
des renseignements sur la route que vous avez tenue. Si vous arrivez à
Vienne avant lui, ne manquez pas de faire savoir à l'administration où vous
demeurez, afin que Karl en soit informé aussitôt qu'il s'y présentera.
--Mais quels bureaux, quelle administration? Je ne connais rien à tous ces
usages-là. Une si grande ville! Je m'y perdrai, moi, pauvre paysanne!
--Tenez, dit Joseph, nous n'avons jamais eu d'affaire qui nous ait mis
au courant de tout cela non plus; mais demandez au premier venu de vous
conduire à l'ambassade de Prusse. Demandez-y M. le baron de...
--Prends garde à ce que tu vas dire, Beppo! dit Consuelo tout bas à Joseph
pour lui rappeler qu'il ne fallait pas compromettre le baron dans cette
aventure.
--Eh bien, le comte de Hoditz? reprit Joseph.
--Oui, le comte! il fera par vanité ce que l'autre eût fait par dévouement.
Demandez la demeure de la margrave, princesse de Bareith, et présentez à
son mari le billet que je vais vous remettre.»
Consuelo arracha un feuillet blanc du calepin de Joseph, et traça ces mots
au crayon:
«Consuelo Porporina, prima donna du théâtre de San Samuel, à Venise;
ex-signor Bertoni, chanteur ambulant à Passaw, recommande au noble coeur
du comte Hoditz-Roswald la femme de Karl, le déserteur que sa seigneurie
a tiré des mains des recruteurs et comblé de ses bienfaits. La Porporina
se promet de remercier monsieur le comte de sa protection, en présence de
madame la margrave, si monsieur le comte veut bien l'admettre à l'honneur
de chanter dans les petits appartements de son altesse.»
Consuelo mit la suscription avec soin, et regarda Joseph: il la comprit,
et tira sa bourse. Sans se consulter autrement, et d'un mouvement spontané,
ils donnèrent à la pauvre femme les deux pièces d'or qui leur restaient du
présent de Trenk, afin qu'elle pût faire la route en voiture, et ils la
conduisirent jusqu'au village voisin où ils l'aidèrent à faire son marché
pour un modeste voiturin. Après qu'ils l'eurent fait manger et qu'ils lui
eurent procuré quelques effets, dépense prise sur le reste de leur petite
fortune, ils embarquèrent l'heureuse créature qu'ils venaient de rendre
à la vie. Alors Consuelo demanda en riant ce qui restait au fond de la
bourse. Joseph prit son violon, le secoua auprès de son oreille, et
répondit:
«Rien que du son!»
Consuelo essaya sa voix en pleine campagne, par une brillante roulade, et
s'écria:
«Il reste beaucoup de son!»
Puis elle tendit joyeusement la main à son confrère, et la serra avec
effusion, en lui disant:
«Tu es un brave garçon, Beppo!
--Et toi aussi!» répondit Joseph en essuyant une larme et en faisant un
grand éclat de rire.
LXXV.
Il n'est pas fort inquiétant de se trouver sans argent quand on touche au