37603.fb2
il ne s'agira que d'entrer dans les ordres mineurs. Je vous ferai avoir
quelques jolis bénéfices, et après ma mort vous trouverez quelques bonnes
petites économies que je ne prétends pas laisser à cette harpie de
Brigide.»
Comme le chanoine disait cela, Brigide entra brusquement et entendit ses
dernières paroles.
«Et moi, s'écria-t-elle d'une voix glapissante et avec des larmes de rage,
je ne prétends pas vous servir davantage. C'est assez longtemps sacrifier
ma jeunesse et ma réputation à un maître ingrat.
--Ta réputation? ta jeunesse? interrompit moqueusement le chanoine sans
se déconcerter. Eh! tu te flattes, ma pauvre vieille; ce qu'il te plaît
d'appeler l'une protège l'autre.
--Oui, oui, raillez, répliqua-t-elle; mais préparez-vous à ne plus me
revoir. Je quitte de ce pas une maison où je ne puis établir aucun ordre
et aucune décence. Je voulais vous empêcher de faire des folies, de
gaspiller votre bien, de dégrader votre rang; mais je vois que c'était
en vain. Votre caractère, faible et votre mauvaise étoile vous poussent à
votre perte, et les premiers saltimbanques qui vous tombent sous la main
vous tournent si bien la tête, que vous êtes tout prêt à vous laisser
dévaliser par eux. Allons, allons, il y a longtemps que le chanoine Herbert
me demande à son service et m'offre de plus beaux avantages que ceux que
vous me faites. Je suis lasse de tout ce que je vois ici. Faites-moi mon
compte. Je ne passerai pas la nuit sous votre toit.
--En sommes-nous là? dit le chanoine avec calme. Eh bien, Brigide, tu me
fais grand plaisir, et puisses-tu ne pas te raviser. Je n'ai jamais chassé
personne, et je crois que j'aurais le diable à mon service que je ne
le mettrais pas dehors, tant je suis débonnaire; mais si le diable me
quittait, je lui souhaiterais un bon voyage et chanterais un _Magnificat_
à son départ. Va faire ton paquet, Brigide; et quant à tes comptes,
fais-les toi-même, mon enfant. Tout ce que tu voudras, tout ce que je
possède, si tu veux, pourvu que tu t'en ailles bien vite.
--Eh! monsieur le chanoine, dit Haydn tout ému de cette scène domestique,
vous regretterez une vieille servante qui vous paraît fort attachée...
--Elle est attachée à mon bénéfice, répondit le chanoine, et moi, je ne
regretterai que son café.
--Vous vous habituerez à vous passer de bon café, monsieur le chanoine,
dit l'austère Consuelo avec fermeté, et vous ferez bien. Tais-toi, Joseph,
et ne parle pas pour elle. Je veux le dire devant elle, moi, parce que
c'est la vérité. Elle est méchante et elle est nuisible à son maître.
Il est bon, lui; la nature l'a fait noble et généreux. Mais cette fille
le rend égoïste. Elle refoule les bons mouvements de son âme; et s'il la
garde, il deviendra dur et inhumain comme elle. Pardonnez-moi, monsieur le
chanoine, si je vous parle ainsi. Vous m'avez fait tant chanter, et vous
m'avez tant poussé à l'exaltation en manifestant la vôtre, que je suis
peut-être un peu hors de moi. Si j'éprouve une sorte d'ivresse, c'est votre
faute; mais soyez sûr que la vérité parle dans ces ivresses-là, parce
qu'elles sont nobles et développent en nous ce que nous avons de meilleur.
Elles nous mettent le coeur sur les lèvres, et c'est mon coeur qui vous
parle en ce moment. Quand je serai calme, je serai plus respectueux et