37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 428

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phrases dont la fin restait dans l'imagination fatiguée du chanoine comme

un arcane impénétrable. S'il eût pu en retrouver une entière, il lui

semblait qu'il eût pu être délivré de cette obsession de réminiscences.

Mais la mémoire musicale est ainsi faite, qu'elle nous tourmente et nous

persécute jusqu'à ce que nous l'ayons rassasiée de ce dont elle est avide

et inquiète.

Jamais la musique n'avait fait tant d'impression sur le cerveau du

chanoine, bien qu'il eût été toute sa vie un dilettante remarquable.

Jamais voix humaine n'avait bouleversé ses entrailles comme celle de

Consuelo. Jamais physionomie, jamais langage et manières n'avaient

exercé sur son âme une fascination comparable à celle que les traits,

la contenance et les paroles de Consuelo exerçaient sur lui depuis

trente-six heures. Le chanoine devinait-il ou ne devinait-il pas le sexe

du prétendu Bertoni? Oui et non. Comment vous expliquer cela? Il faut que

vous sachiez qu'à cinquante ans le chanoine avait l'esprit aussi chaste

que les moeurs, et les moeurs aussi pures qu'une jeune fille. A cet égard,

c'était un saint homme que notre chanoine; il avait toujours été ainsi,

et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que, bâtard du roi le plus

débauché dont l'histoire fasse mention, il ne lui en avait presque rien

coûté pour garder son voeu de chasteté. Né avec un tempérament flegmatique

(nous disons aujourd'hui lymphatique), il avait été si bien élevé dans

l'idée du canonicat, il avait toujours tant chéri le bien-être et la

tranquillité, il était si peu propre aux luttes cachées que les passions

brutales livrent à l'ambition ecclésiastique; en un mot, il désirait tant

le repos et le bonheur, qu'il avait eu pour premier et pour unique principe

dans la vie, de sacrifier tout à la possession tranquille d'un bénéfice;

amour, amitié, vanité, enthousiasme, vertu même, s'il l'eût fallu. Il

s'était préparé de bonne heure et habitué de longue main à tout immoler

sans effort et presque sans regret. Malgré cette théorie affreuse de

l'égoïsme, il était resté bon, humain, affectueux et enthousiaste à

beaucoup d'égards, parce que sa nature était bonne, et que la nécessité

de réprimer ses meilleurs instincts ne s'était presque jamais présentée.

Sa position indépendante lui avait toujours permis de cultiver l'amitié,

la tolérance et les arts; mais l'amour lui était interdit, et il avait tué

l'amour, comme le plus dangereux ennemi de son repos et de sa fortune.

Cependant, comme l'amour est de nature divine, c'est-à-dire immortel,

quand nous croyons l'avoir tué, nous n'avons pas fait autre chose que de

l'ensevelir vivant dans notre coeur. Il peut y sommeiller sournoisement

durant de longues années, jusqu'au jour où il lui plaît de se ranimer.

Consuelo apparaissait à l'automne de cette vie de chanoine, et cette longue

apathie de l'âme se changeait en une langueur tendre, profonde, et plus

tenace qu'on ne pouvait le prévoir. Ce coeur apathique ne savait point

bondir et palpiter pour un objet aimé; mais il pouvait se fondre comme la

glace au soleil, se livrer, connaître l'abandon de soi-même, la soumission,

et cette sorte d'abnégation patiente qu'on est surpris de rencontrer

quelquefois chez les égoïstes quand l'amour s'empare de leur forteresse.

Il aimait donc, ce pauvre chanoine; à cinquante ans, il aimait pour la

première fois, et il aimait celle qui ne pouvait jamais répondre à son

amour. Il ne le pressentait que trop, et voilà pourquoi il voulait se

persuader à lui-même, en dépit de toute vraisemblance, que ce n'était