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belle personne fût méchante, ni qu'elle daignât être jalouse d'une fille
si longtemps réputée laide à faire peur. Mais la Wilhelmine aimait à faire
la grande dame, comme toutes celles qui ne le sont pas. Elle avait chanté
de grands airs avec le Porpora (qui, la traitant comme un talent d'amateur,
lui avait laissé essayer de tout), lorsque la pauvre Consuelo étudiait
encore cette fameuse petite feuille de carton où le maître renfermait toute
sa méthode de chant, et à laquelle il tenait ses élèves sérieux durant cinq
ou six ans. La Wilhelmine ne se figurait donc pas qu'elle pût avoir pour
la Zingarella un autre sentiment que celui d'un charitable intérêt. Mais
de ce qu'elle lui avait jadis donné quelques bonbons, ou de ce qu'elle lui
avait mis entre les mains un livre d'images pour l'empêcher de s'ennuyer
dans son antichambre, elle concluait qu'elle avait été une des plus
officieuses protectrices de ce jeune talent. Elle avait donc trouvé fort
extraordinaire et fort inconvenant que Consuelo, parvenue en un instant
au faîte du triomphe, ne se fût pas montrée humble, empressée, et remplie
de reconnaissance envers elle. Elle avait compté que lorsqu'elle aurait
de petites réunions d'hommes choisis, Consuelo ferait gracieusement et
gratuitement les frais de la soirée, en chantant pour elle et avec elle
aussi souvent et aussi longtemps qu'elle le désirerait, et qu'elle pourrait
la présenter à ses amis, en se donnant les gants de l'avoir aidée dans ses
débuts et quasi formée à l'intelligence de la musique. Les choses s'étaient
passées autrement: le Porpora, qui avait beaucoup plus à coeur d'élever
d'emblée son élève Consuelo au rang qui lui convenait dans la hiérarchie
de l'art, que de complaire à sa protectrice Wilhelmine, avait ri, dans sa
barbe, des prétentions de cette dernière; et il avait défendu à Consuelo
d'accepter les invitations un peu trop familières d'abord, un peu trop
impérieuses ensuite, de madame l'ambassadrice _de la main gauche_.
Il avait su trouver mille prétextes pour se dispenser de la lui amener,
et la Wilhelmine en avait pris un étrange dépit contre la débutante,
jusqu'à dire qu'elle n'était pas assez belle pour avoir jamais des succès
incontestés; que sa voix, agréable dans un salon, à la vérité, manquait de
sonorité au théâtre, qu'elle ne tenait pas sur la scène tout ce qu'avait
promis son enfance, et autres malices de même genre connues de tout temps
et en tous pays.
Mais bientôt la clameur enthousiaste du public avait étouffé ces petites
insinuations, et la Wilhelmine, qui se piquait d'être un bon juge, une
savante élève du Porpora, et une âme généreuse, n'avait osé poursuivre
cette guerre sourde contre la plus brillante élève du Maestro, et contre
l'idole du public. Elle avait mêlé sa voix à celle des vrais dilettanti
pour exalter Consuelo, et si elle l'avait un peu dénigrée encore pour
l'orgueil et l'ambition dont elle avait fait preuve en ne mettant pas
sa voix à la disposition de _madame l'ambassadrice_, c'était bien bas et
tout à fait à l'oreille de quelques-uns que _madame l'ambassadrice_ se
permettait de l'en blâmer.
Cette fois, lorsqu'elle vit Consuelo venir à elle dans sa petite toilette
des anciens jours, et lorsque le Porpora la lui présenta officiellement,
ce qu'il n'avait jamais fait auparavant, vaine et légère comme elle était,
la Wilhelmine pardonna tout, et s'attribua un rôle de grandeur généreuse.
Embrassant la Zingarella sur les deux joues,