37603.fb2 Consuelo - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 466

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chanter pour prouver que tu es reine de droit divin. Eh bien, il n'en est

point ainsi! Le monde va autrement. Il est comme il est; qu'y veux-tu

faire? Le hasard, le caprice, l'erreur et la folie le gouvernent. Qu'y

pouvons-nous changer? Il a des maîtres contrefaits, malpropres, sots et

ignares pour la plupart. Nous y voilà, il faut se tuer ou s'accommoder

de son train. Alors, ne pouvant être monarques, nous sommes artistes, et

nous régnons encore. Nous chantons la langue du ciel, qui est interdite aux

vulgaires mortels; nous nous habillons en rois et en grands hommes, nous

montons sur un théâtre, nous nous asseyons sur un trône postiche, nous

jouons une farce, nous sommes des histrions! Par le corps de Dieu! le

monde voit cela, et n'y comprend goutte! Il ne voit pas que c'est nous qui

sommes les vraies puissances de la terre, et que notre règne est le seul

véritable, tandis que leur règne à eux, leur puissance, leur activité, leur

majesté, sont une parodie dont les anges rient là-haut, et que les peuples

haïssent et maudissent tout bas. Et les plus grands princes de la terre

viennent nous regarder, prendre des leçons à notre école; et, nous admirant

en eux-mêmes, comme les modèles de la vraie grandeur, ils tâchent de nous

ressembler quand ils posent devant leurs sujets. Va! le monde est renversé;

ils le sentent bien, eux qui le dominent, et s'ils ne s'en rendent pas

tout à fait compte, s'ils ne l'avouent pas, il est aisé de voir, au dédain

qu'ils affichent pour nos personnes et notre métier, qu'ils éprouvent une

jalousie d'instinct pour notre supériorité réelle. Oh! quand je suis au

théâtre, je vois clair, moi! L'esprit de la musique me dessille les yeux,

et je vois derrière la rampe une véritable cour, de véritables héros, des

inspirations de bon aloi; tandis que ce sont de véritables histrions et

de misérables cabotins qui se pavanent dans les loges sur des fauteuils

de velours. Le monde est une comédie, voilà ce qu'il y a de certain, et

voilà pourquoi je te disais tout à l'heure: Traversons gravement, ma noble

fille, cette méchante mascarade qui s'appelle le monde.

«Peste soit de l'imbécile! s'écria le maestro en repoussant Joseph, qui,

avide d'entendre ses paroles exaltées, s'était rapproché insensiblement

jusqu'à le coudoyer; il me marche sur les pieds, il me couvre de résine

avec son flambeau! Ne dirait-on pas qu'il comprend ce qui nous occupe,

et qu'il veut nous honorer de son approbation?

--Passe à ma droite, Beppo, dit la jeune fille en lui faisant un signe

d'intelligence. Tu impatientes le maître avec tes maladresses. Puis

s'adressant au Porpora:

«Tout ce que vous dites là est l'effet d'un noble délire, mon ami,

reprit-elle; mais cela ne répond point à ma pensée, et les enivrements

de l'orgueil n'adoucissent pas la plus petite blessure du coeur. Peu

m'importe d'être née reine et de ne pas régner.» Plus je vois les grands,

plus leur sort m'inspire de compassion....

--Eh bien, n'est-ce pas là ce que je te disais?

--Oui, mais ce n'est pas là ce que je vous demandais. Ils sont avides de

paraître et de dominer. Là est leur folie et leur misère. Mais nous, si

nous sommes plus grands, et meilleurs, et plus sages qu'eux, pourquoi

luttons-nous d'orgueil à orgueil, de royauté à royauté avec eux? Si nous

possédons des avantages plus solides, si nous jouissons de trésors plus

désirables et plus précieux, que signifie cette petite lutte que nous leur

livrons, et qui, mettant notre valeur et nos forces à la merci de leurs