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l'a connue et lui a même, je crois, donné quelques leçons, ainsi qu'à la
grande dauphine de France, sa cousine. La jeune princesse de Culmbach était
belle et sage; élevée par une reine austère, loin d'une mère débauchée,
elle semblait devoir être heureuse et honorée toute sa vie. Mais la
margrave douairière, aujourd'hui comtesse Hoditz, ne voulait point qu'il
en fût ainsi. Elle la fit revenir près d'elle, et feignit de vouloir la
marier, tantôt avec un de ses parents, margrave aussi de Bareith, tantôt
avec un autre parent, aussi prince de Culmbach; car cette principauté de
Bareith-Culmbach compte plus de princes et de margraves qu'elle n'a de
villages et de châteaux pour les apanager. La beauté et la pudeur de la
princesse causaient à sa mère une mortelle jalousie; elle voulait l'avilir,
lui ôter la tendresse et l'estime de son père, le margrave George-Guillaume
(troisième margrave); ce n'est pas ma faute s'il y en a tant dans cette
histoire: mais dans tous ces margraves, il n'y en eut pas un seul pour
la princesse de Culmbach. Sa mère promit à un gentilhomme de la chambre
de son époux, nommé Vobser, une récompense de quatre mille ducats pour
déshonorer sa fille; et elle introduisit elle-même ce misérable la nuit
dans la chambre de la princesse. Ses domestiques étaient avertis et
gagnés, le palais fut sourd aux cris de la jeune fille, la mère tenait
la porte... O Consuelo! tu frémis, et pourtant ce n'est pas tout. La
princesse de Culmbach devint mère de deux jumeaux: la margrave les prit
dans ses mains, les porta à son époux, les promena dans son palais, les
montra à toute sa valetaille, en criant: «Voyez, voyez les enfants que
cette dévergondée vient de mettre au monde!» Et au milieu de cette scène
affreuse, les deux jumeaux périrent presque dans les mains de la margrave.
Vobser eut l'imprudence d'écrire au margrave pour réclamer les quatre mille
ducats que la margrave lui avait promis. Il les avait gagnés, il avait
déshonoré la princesse. Le malheureux père, à demi imbécile déjà, le
devint tout à fait dans cette catastrophe, et mourut de saisissement et
de chagrin quelque temps après. Vobser, menacé par les autres membres de
la famille, prit la fuite. La reine de Pologne ordonna que la princesse
de Culmbach serait enfermée à la forteresse de Plassenbourg. Elle y entra,
à peine relevée de ses couches, y passa plusieurs années dans une
rigoureuse captivité, et y serait encore, si des prêtres catholiques,
s'étant introduits dans sa prison, ne lui eussent promis la protection de
l'impératrice Amélie, à condition qu'elle abjurerait la foi luthérienne.
Elle céda à leurs insinuations et au besoin de recouvrer sa liberté; mais
elle ne fut élargie qu'à la mort de la reine de Pologne; le premier usage
qu'elle fit de son indépendance fut de revenir à la religion de ses pères.
La jeune margrave de Bareith, Wilhelmine de Prusse, l'accueillit avec
aménité dans sa petite cour. Elle s'y est fait aimer et respecter par ses
vertus, sa douceur et sa sagesse. C'est une âme brisée, mais c'est encore
une belle âme, et quoiqu'elle ne soit point vue favorablement à la cour de
Vienne à cause de son luthéranisme, personne n'ose insulter à son malheur;
personne ne peut médire de sa vie, pas même les laquais. Elle est ici
en passant pour je ne sais quelle affaire; elle réside ordinairement à
Bareith.
--Voilà pourquoi, reprit Consuelo, elle m'a tant parlé de ce pays-là, et
tant engagée à y aller. Oh! Quelle histoire! Joseph! et quelle femme que