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dernier pour le maintenir dans un état de confiance et de calme. Elle
terminait en disant: «J'ai demandé du temps à Vos Seigneuries pour
m'interroger moi-même et me décider. Je suis résolue à tenir ma parole, et
je puis jurer devant Dieu que je me sens la force de fermer mon coeur et
mon esprit à toute fantaisie contraire, comme à toute nouvelle affection.
Et cependant, si je rentre au théâtre, j'adopte un parti qui est, en
apparence, une infraction à mes promesses, un renoncement formel à
l'espérance de les tenir. Que Votre Seigneurie me juge, ou plutôt qu'elle
juge le destin qui me commande et le devoir qui me gouverne. Je ne vois
aucun moyen de m'y soustraire sans crime. J'attends d'elle un conseil
supérieur à celui de ma propre raison; mais pourra-t-il être contraire à
celui de ma conscience?»
Lorsque cette lettre fut cachetée et confiée à Joseph pour qu'il la fit
partir, Consuelo se sentit plus tranquille, ainsi qu'il arrive dans une
situation funeste, lorsqu'on a trouvé un moyen de gagner du temps et de
reculer le moment de la crise. Elle se disposa donc à rendre avec Porpora
une visite, considérée par celui-ci comme importante et décisive, au
très-renommé et très-vanté poëte impérial, M. l'abbé Métastase.
--Ce personnage illustre avait alors environ cinquante ans; il était
d'une belle figure, d'un abord gracieux, d'une conversation charmante, et
Consuelo eût ressenti pour lui une vive sympathie, si elle n'eût eu, en se
rendant à la maison qu'habitaient, à différents étages, le poëte impérial
et le perruquier Keller, la conversation suivante avec Porpora:
«Consuelo (c'est le Porpora qui parle), tu vas voir un homme de bonne mine,
à l'oeil vif et noir, au teint vermeil, à la bouche fraîche et souriante,
qui veut, à toute force, être en proie à une maladie lente, cruelle et
dangereuse; un homme qui mange, dort, travaille et engraisse tout comme un
autre, et qui prétend être livré à l'insomnie, à la diète, à l'accablement,
au marasme. N'aie pas la maladresse, lorsqu'il va se plaindre devant toi
de ses maux, de lui dire qu'il n'y paraît point, qu'il a fort bon visage,
ou toute autre platitude semblable; car il veut qu'on le plaigne, qu'on
s'inquiète et qu'on le pleure d'avance. N'aie pas le malheur non plus de
lui parler de la mort, ou d'une personne morte; il a peur de la mort, et ne
veut pas mourir. Et cependant ne commets pas la balourdise de lui dire en
le quittant: «J'espère que votre précieuse santé sera bientôt meilleure;»
car il veut qu'on le croie mourant, et, s'il pouvait persuader aux autres
qu'il est mort, il en serait fort content, à condition toutefois qu'il ne
le crût pas lui-même.
--Voilà une sotte manie pour un grand homme, répondit Consuelo. Que
faudra-t-il donc lui dire, s'il ne faut lui parler ni de guérison, ni de
mort?
--Il faut lui parler de sa maladie, lui faire mille questions, écouter tout
le détail de ses souffrances et de ses incommodités, et, pour conclure, lui
dire qu'il ne se soigne pas assez, qu'il s'oublie lui-même, qu'il ne se
ménage point, qu'il travaille trop. De cette façon, nous le disposerons en
notre faveur.
--N'allons-nous pas lui demander pourtant de faire un poëme et de vous
le faire mettre en musique, afin que je puisse le chanter? Comment
pouvons-nous à la fois lui conseiller de ne point écrire et le conjurer