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d'ardeur et poursuivi avec tant de courage. Il fit de si rapides progrès,
que le maître était à la fois charmé, surpris, et parfois effrayé. Lorsque
Consuelo voyait ses anciennes méfiances prêtes à renaître, elle dictait à
son jeune ami la conduite qu'il fallait tenir pour les dissiper. Un peu de
résistance, une préoccupation feinte, étaient parfois nécessaires pour que
le génie et la passion de l'enseignement se réveillassent chez le Porpora,
ainsi qu'il arrive toujours à l'exercice des hautes facultés, qu'un peu
d'obstacle et de lutte rendent plus énergique et plus puissant. Il arriva
souvent à Joseph d'être forcé de jouer la langueur et le dépit pour
obtenir, en feignant de s'y traîner à regret, ces précieuses leçons qu'il
tremblait de voir négliger. Le plaisir de contrarier et le besoin de
dompter émoustillaient alors l'âme taquine et guerroyante du vieux
professeur; et jamais Beppo ne reçut de meilleures notions que celles dont
la déduction fut arrachée, claire, éloquente et chaude, à l'emportement et
à l'ironie du maître.
Pendant que l'intérieur du Porpora était le théâtre de ces événements si
frivoles en apparence, et dont les résultats pourtant jouèrent un si grand
rôle dans l'histoire de l'art puisque le génie d'un des plus féconds et des
plus célèbres compositeurs du siècle dernier y reçut son développement et
sa sanction, des événements d'une influence plus immédiate sur le roman de
la vie de Consuelo se passaient au dehors. La Corilla, plus active pour
discuter ses propres intérêts, plus habile à les faire prévaloir, gagnait
chaque jour du terrain, et déjà, parfaitement remise de ses couches,
négociait les conditions de son engagement au théâtre de la cour. Virtuose
robuste et médiocre musicienne, elle plaisait beaucoup mieux que Consuelo
à monsieur le directeur et à sa femme. On sentait bien que la savante
Porporina jugerait de haut, ne fût-ce que dans le secret de ses pensées,
les opéras de maître Holzbaüer et le talent de madame son épouse. On savait
bien que les grands artistes, mal secondés et réduits à rendre de pauvres
idées, ne conservent pas toujours, accablés qu'ils sont de cette violence
faite à leur goût et à leur conscience, cet entrain routinier, cette verve
confiante que les médiocrités portent cavalièrement dans la représentation
des plus mauvais ouvrages, et à travers la douloureuse cacophonie des
oeuvres mal étudiées et mal comprises par leurs camarades.
Lors même que, grâce à des miracles de volonté et de puissance, ils
parviennent à triompher de leur rôle et de leur entourage, cet entourage
envieux ne leur en sait point gré; le compositeur devine leur souffrance
intérieure, et tremble sans cesse de voir cette inspiration factice se
refroidir tout à coup et compromettre son succès; le public lui-même,
étonné et troublé sans savoir pourquoi, devine cette anomalie monstrueuse
d'un génie asservi à une idée vulgaire, se débattant dans les liens étroits
dont il s'est laissé charger, et c'est presque en soupirant qu'il applaudit
à ses vaillants efforts. M. Holzbaüer se rendait fort bien compte, quant à
lui, du peu de goût que Consuelo avait pour sa musique. Elle avait eu le
malheur de le lui montrer, un jour que, déguisée en garçon et croyant avoir
affaire à une de ces figures qu'on aborde en voyage pour la première et la
dernière fois de sa vie, elle avait parlé franchement, sans se douter que
bientôt sa destinée d'artiste allait être pour quelque temps à la merci de
l'inconnu, ami du chanoine. Holzbaüer ne l'avait point oublié, et, piqué