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juré de lui fermer le chemin. Mais comme il ne voulait point que le Porpora
et son élève, et ce qu'il appelait leur coterie, pussent l'accuser d'une
vengeance mesquine et d'une lâche susceptibilité, il n'avait raconté
qu'à sa femme sa rencontre avec Consuelo et l'aventure du déjeuner au
presbytère. Cette rencontre paraissait donc n'avoir nullement frappé
monsieur le directeur; il semblait avoir oublié les traits du petit
Bertoni, et ne pas se douter le moins du monde que ce chanteur ambulant
et la Porporina fussent un seul et même personnage. Consuelo se perdait
en commentaires sur la conduite de Holzbaüer à son égard.
«J'étais donc bien parfaitement déguisée en voyage, disait-elle en
confidence à Beppo, et l'arrangement de mes cheveux changeait donc bien
ma physionomie, pour que cet homme, qui me regardait là-bas avec des yeux
si clairs et si perçants, ne me reconnaisse pas du tout ici?
--Le comte Hoditz ne vous a pas reconnue non plus la première fois qu'il
vous a revue chez l'ambassadeur, reprenait Joseph, et peut-être que s'il
n'eût pas reçu votre billet, il ne vous eût jamais reconnue.
--Bien! mais le comte Hoditz a une manière vague et nonchalamment superbe
de regarder les gens, qui fait qu'il ne voit réellement point. Je suis sûre
qu'il n'eût point pressenti mon sexe, à Passaw, si le baron de Trenk ne
l'en eût avisé; au lieu que le Holzbaüer, dès qu'il m'a revue ici, et
chaque fois qu'il me rencontre, me regarde avec ces mêmes yeux attentifs
et curieux que je lui ai trouvés au presbytère. Pour quel motif me
garde-t-il généreusement le secret sur une folle aventure qui pourrait
avoir pour ma réputation des suites fâcheuses s'il voulait l'interpréter
à mal, et qui pourrait même me brouiller avec mon maître, puisqu'il croit
que je suis venue à Vienne sans détresse, sans encombre et sans incidents
romanesques, tandis que ce même Holzbaüer dénigre sous main ma voix et
ma méthode, et me dessert le plus possible pour n'être point forcé à
m'engager! Il me hait et me repousse, et, ayant dans la main de plus fortes
armes contre moi, il n'en fait point usage! Je m'y perds!»
Le mot de cette énigme fut bientôt révélé à Consuelo; mais avant de lire
ce qui lui arriva, il faut qu'on se rappelle qu'une nombreuse et puissante
coterie travaillait contre elle; que la Corilla était belle et galante;
que le grand ministre Kaunitz la voyait souvent; qu'il aimait à se mêler
au tripotage de coulisses, et que Marie-Thérèse, pour se délasser de ses
graves travaux, s'amusait à le faire babiller sur ces matières, raillant
intérieurement les petitesses de ce grand esprit, et prenant pour son
compte un certain plaisir à ces commérages, qui lui montraient en petit,
mais avec une franche effronterie, un spectacle analogue à celui que
présentaient à cette époque les trois plus importantes cours de l'Europe,
gouvernées par des intrigues de femmes: la sienne, celle de la czarine et
celle de madame de Pompadour.
XCI.
On sait que Marie-Thérèse donnait audience une fois par semaine à quiconque
voulait lui parler; coutume paternellement hypocrite que son fils Joseph II
observa toujours religieusement, et qui est encore en vigueur à la cour
d'Autriche. En outre, Marie-Thérèse accordait facilement des audiences
particulières à ceux qui voulaient entrer à son service, et jamais
souveraine ne fut plus aisée à aborder.