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voyant de près l'honnête figure de Consuelo, pourrait peut-être prendre
quelque sympathie marquée pour elle. Du moins le maestro l'espérait.
Connaissant les exigences de Sa Majesté à l'endroit des bonnes moeurs et
de la tenue décente, il se disait qu'elle serait frappée, à coup sûr, de
l'air de candeur et de modestie qui brillait dans toute la personne de son
élève. On les introduisit dans un des petits salons du palais, où l'on
avait transporté un clavecin, et où l'impératrice arriva au bout d'une
demi-heure. Elle venait de recevoir des personnages d'importance, et elle
était encore en costume de représentation, telle qu'on la voit sur les
sequins d'or frappés à son effigie, en robe de brocart, manteau impérial,
la couronne en tête, et un petit sabre hongrois au côté. Elle était
vraiment belle ainsi, non imposante et d'une noblesse idéale, comme
ses courtisans affectaient de la dépeindre, mais fraîche, enjouée, la
physionomie ouverte et heureuse, l'air confiant et entreprenant.
C'était bien _le roi_ Marie-Thérèse que les magnats de Hongrie avaient
proclamé, le sabre au poing, dans un jour d'enthousiasme; mais c'était,
au premier abord, un bon roi plutôt qu'un grand roi. Elle n'avait point de
coquetterie, et la familiarité de ses manières annonçait une âme calme et
dépourvue d'astuce féminine. Quand on la regardait longtemps, et surtout
lorsqu'elle vous interrogeait avec insistance, on voyait de la finesse
et même de la ruse froide dans cette physionomie si riante et si affable.
Mais c'était de la ruse masculine, de la ruse impériale si l'on veut;
jamais de la galanterie.
«-Vous me ferez entendre votre élève tout à l'heure, dit-elle au Porpora;
je sais déjà qu'elle a un grand savoir, une voix magnifique, et je n'ai pas
oublié le plaisir qu'elle m'a fait dans l'oratorio de _Betulia liberata_.
Mais je veux d'abord causer un peu avec elle en particulier. J'ai plusieurs
questions à lui faire; et comme je compte sur sa franchise, j'ai bon espoir
de lui pouvoir accorder la protection qu'elle me demande.»
Le Porpora se hâta de sortir, lisant dans les yeux de Sa Majesté qu'elle
désirait être tout à fait seule avec Consuelo. Il se retira dans une
galerie voisine, où il eut grand froid; car la cour, ruinée par les
dépenses de la guerre, était gouvernée avec beaucoup d'économie, et le
caractère de Marie-Thérèse secondait assez à cet égard les nécessités de
sa position.
En. se voyant tête à tête avec la fille et la mère des Césars, l'héroïne de
la Germanie, et la plus grande femme qu'il y eût alors en Europe, Consuelo
ne se sentit pourtant ni troublée, ni intimidée. Soit que son insouciance
d'artiste la rendît indifférente à cette pompe armée qui brillait autour de
Marie-Thérèse et jusque sur son costume, soit que son âme noble et franche
se sentît à la hauteur de toutes les grandeurs morales, elle attendit dans
une attitude calme et dans une grande sérénité d'esprit qu'il plût à Sa
Majesté de l'interroger.
L'impératrice s'assit sur un sofa, tirailla un peu son baudrier couvert de
pierreries, qui gênait et blessait son épaule ronde et blanche, et commença
ainsi:
«Je te répète, mon enfant, que je fais grand cas de ton talent, et que je
ne mets pas en doute tes bonnes études et l'intelligence que tu as de ton
métier; mais on doit t'avoir dit qu'à mes yeux le talent n'est rien sans la