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tu n'auras pas cet amusement-là, à moins de me bien prouver que tu mérites
mon hommage.»
Elle avait fait rapidement ces réflexions, et d'autres encore pendant
que Marie-Thérèse la sermonnait. Elle s'était dit qu'elle jouait en cet
instant la fortune du Porpora sur un coup de dé, sur une fantaisie de
l'impératrice, et que l'avenir de son maître valait bien la peine qu'elle
s'humiliât un peu. Mais elle ne voulait pas s'humilier en vain. Elle
ne voulait pas jouer la comédie avec une tête couronnée qui en savait
certainement autant qu'elle sur ce chapitre-là. Elle attendait que
Marie-Thérèse se fit véritablement grande à ses yeux, afin qu'elle-même
pût se montrer sincère en se prosternant.
Quand l'impératrice eut fini son homélie, Consuelo répondit:
«Je répondrai à tout ce que Votre Majesté a daigné me dire, si elle veut
bien me l'ordonner.
--Oui, parlez, parlez! dit l'impératrice dépitée de cette contenance
impassible.
--Je dirai donc à Votre Majesté que, pour la première fois de ma vie,
j'apprends, de sa bouche impériale, que ma réputation est compromise par
la présence de Joseph Haydn dans la maison de mon maître. Je me croyais
trop peu de chose pour attirer sur moi les arrêts de l'opinion publique;
et si l'on m'eût dit, lorsque je me rendais au palais impérial, que
l'impératrice elle-même jugeait et blâmait ma situation, j'aurais cru
faire un rêve.»
Marie-Thérèse l'interrompit; elle crut trouver de l'ironie dans cette
réflexion de Consuelo.
«Il ne faut pas vous étonner, dit-elle d'un ton un peu emphatique, que je
m'occupe des détails les plus minutieux de la vie des êtres dont j'ai la
responsabilité devant Dieu.
--On peut s'étonner de ce qu'on admire, répondit adroitement Consuelo;
et si les grandes choses sont les plus simples, elles sont du moins assez
rares pour nous surprendre au premier abord.
--Il faut que vous compreniez, en outre, reprit l'impératrice, le soin
particulier qui me préoccupe à votre égard, et à l'égard de tous les
artistes dont j'aime à orner ma cour. Le théâtre est, en tout pays, une
école de scandale, un abîme de turpitudes. J'ai la prétention, louable
certainement, sinon réalisable, de réhabiliter devant les hommes et de
purifier devant Dieu la classe des comédiens, objet des mépris aveugles
et même des proscriptions, religieuses de plusieurs nations. Tandis qu'en
France l'Église leur ferme ses portes, je veux, moi, que l'Église leur
ouvre son sein. Je n'ai jamais admis, soit à mon théâtre italien, soit
pour ma comédie française, soit encore à mon théâtre national, que des
gens d'une moralité éprouvée, ou bien des personnes résolues de bonne foi
à réformer leur conduite. Vous devez savoir que je marie mes comédiens,
et que je tiens même leurs enfants sur les fonts de baptême, résolue à
encourager par toutes les faveurs possibles la légitimité des naissances,
et la fidélité des époux.»
«Si nous avions su cela, pensa Consuelo, nous aurions prié Sa Majesté
d'être la marraine d'Angèle à ma place.»
«Votre Majesté sème pour recueillir, reprit-elle tout haut; et si j'avais