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cour. Quand nous aurons franchi la dernière porte du palais, je vous dirai
tout.
--Eh bien, qu'est ce? reprit le Porpora avec impatience lorsqu'ils furent
sur le rempart.
--Rappelez-vous, maître, répondit Consuelo, ce que nous avons dit du grand
ministre Kaunitz en sortant de chez la margrave.
--Nous avons dit que c'était une vieille commère. Eh bien, il nous a
desservis?
--Sans aucun doute; et je vous dis maintenant: Sa Majesté l'impératrice,
reine de Hongrie, est aussi une commère.»
XCII.
Consuelo ne raconta au Porpora que ce qu'il devait savoir des motifs de
Marie-Thérèse dans l'espèce, de disgrâce où elle venait de faire tomber
notre héroïne. Le reste eût affligé, inquiété et irrité peut-être le
maestro contre Haydn sans remédier à rien. Consuelo ne voulut pas dire non
plus à son jeune ami ce qu'elle taisait au Porpora. Elle méprisait avec
raison quelques vagues accusations qu'elle savait bien avoir été forgées
à l'impératrice par deux ou trois personnes ennemies, et qui n'avaient
nullement circulé dans le public. L'ambassadeur Corner, à qui elle jugea
utile de tout confier, la confirma dans cette opinion; et, pour éviter
que la méchanceté ne s'emparât de ces semences de calomnie, il arrangea
sagement et généreusement les choses. Il décida le Porpora à demeurer dans
son hôtel avec Consuelo, et Haydn entra au service de l'ambassade et
fut admis à la table des secrétaires particuliers. De cette manière le
vieux maestro échappait aux soucis de la misère, Joseph continuait à
rendre au Porpora quelques services personnels, qui le mettaient à même
de l'approcher souvent et de prendre ses leçons, et Consuelo était à
couvert des malignes imputations.
Malgré ces précautions, la Corilla fut engagée à la place de Consuelo au
théâtre impérial. Consuelo n'avait pas su plaire à Marie-Thérèse. Cette
grande reine, tout en s'amusant des intrigues de coulisses que Kaunitz et
Métastase lui racontaient à moitié et toujours avec un esprit charmant,
voulait jouer le rôle d'une Providence incarnée et couronnée au milieu de
ces cabotins qui, devant elle, jouaient celui de pécheurs repentants et
de démons convertis. On pense bien qu'au nombre de ces hypocrites, qui
recevaient de petites pensions et de petits cadeaux pour leur soi-disant
piété, ne se trouvaient ni Caffariello, ni Farinelli, ni la Tesi, ni
madame Hasse, ni aucun de ces grands virtuoses que Vienne possédait
alternativement, et à qui leur talent et leur célébrité faisaient pardonner
bien des choses. Mais les emplois vulgaires étaient brigués par des gens
décidés à flatter la fantaisie, dévote et moralisante de Sa Majesté; et
Sa Majesté, qui portait en toute chose son esprit d'intrigue politique,
faisait du tripotage diplomatique à propos du mariage ou de la conversion
de ses comédiens. On a pu lire dans les Mémoires de Favart (cet intéressant
roman réel qui se passa historiquement dans les coulisses) les difficultés
qu'il éprouvait pour envoyer à Vienne des actrices et des chanteuses
d'opéra dont on lui avait confié la fourniture. On les voulait à bon
marché, et, de plus, sages comme des vestales. Je crois que ce spirituel
fournisseur breveté de Marie-Thérèse, après avoir bien cherché à Paris,