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franchise qu'à la vertu de nos _filles d'opéra_, comme on disait alors.
Ainsi Marie-Thérèse voulait donner à l'amusement qu'elle prenait à tout
ceci un prétexte édifiant et digne de la majesté bienfaisante de son
caractère. Les monarques posent toujours, et les grands monarques plus
peut-être que tous les autres; le Porpora le disait sans cesse, et il ne
se trompait pas. La grande impératrice, zélée catholique, mère de famille
exemplaire, n'avait aucune répugnance à causer avec une prostituée, à la
catéchiser, à provoquer ses étranges confidences, afin d'avoir la gloire
d'amener une Madeleine repentante aux pieds du Seigneur. Le trésor
particulier de Sa Majesté, placé entre le vice et la contrition, rendait
nombreux et infaillibles ces miracles de la grâce entre les mains de
l'impératrice. Ainsi Corilla pleurante et prosternée, sinon en personne
(je doute qu'elle pût rompre son farouche caractère à cette comédie), mais
par procuration passée à M. de Kaunitz, qui se portait caution de sa vertu
nouvelle, devait l'emporter infailliblement sur une petite fille décidée,
fière et forte comme l'immaculée Consuelo. Marie-Thérèse n'aimait, dans ses
protégés dramatiques, que les vertus dont elle pouvait se dire l'auteur.
Les vertus qui s'étaient faites ou gardées elles-mêmes ne l'intéressaient
pas beaucoup; elle n'y croyait pas comme sa propre vertu eût dû la porter
à y croire. Enfin, l'attitude de Consuelo l'avait piquée; elle l'avait
trouvée esprit fort et raisonneuse. C'était trop de présomption et
d'outre-cuidance de la part d'une petite bohémienne, que de vouloir être
estimable et sage sans que l'impératrice s'en mêlât. Lorsque M. de Kaunitz,
qui feignait d'être très impartial tout en desservant l'une au profit
de l'autre, demanda à Sa Majesté si elle avait agréé la supplique de
_cette petite_, Marie-Thérèse répondit: «Je n'ai pas été contente de ses
principes; ne me parlez plus d'elle.» Et tout fut dit. La voix, la figure
et jusqu'au nom de la Porporina furent même complètement oubliés.
Un seul mot avait été nécessaire et en même temps péremptoire pour
expliquer au Porpora la cause de la disgrâce où il se trouvait enveloppé.
Consuelo avait été obligé de lui dire que sa position de demoiselle
paraissait inadmissible à l'impératrice. «Et la Corilla? s'était écrié
le Porpora en apprenant l'admission de cette dernière, est-ce que Sa
Majesté vient de la marier?--Autant que j'ai pu le comprendre, ou le
deviner dans les paroles de Sa Majesté, la Corilla passe ici pour veuve.
--Oh! trois fois veuve, dix fois, cent fois veuve, en effet! disait le
Porpora avec un rire amer. Mais que dira-t-on quand on saura ce qu'il en
est, et quand on la verra procéder ici à de nouveaux et innombrables
veuvages? Et cet enfant dont on m'a parlé, qu'elle vient de laisser auprès
de Vienne, chez un chanoine; cet enfant, qu'elle voulait faire accepter au
comte Zustiniani, et que le comte Zustiniani lui a conseillé de recommander
à la tendresse paternelle d'Anzoleto?--Elle se moquera de tout cela avec
ses camarades; elle le racontera, suivant sa coutume, dans des termes
cyniques, et rira, dans le secret de son alcôve, du bon tour qu'elle a joué
à l'impératrice.--Mais si l'impératrice apprend la vérité?--L'impératrice
ne l'apprendra pas. Les souverains sont entourés, je m'imagine, d'oreilles
qui servent de portiques aux leurs propres. Beaucoup de choses restent
dehors, et rien n'entre dans le sanctuaire de l'oreille impériale que ce
que les gardiens ont bien voulu laisser passer.--D'ailleurs, reprenait le