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sera M. de Kaunitz qui sera chargé de faire observer la pénitence.»
Le pauvre maestro exhalait sa bile dans ces âcres plaisanteries; mais
il était profondément chagrin. Il perdait l'espoir de faire représenter
l'opéra qu'il avait en portefeuille, d'autant plus qu'il l'avait écrit
sur un libretto qui n'était pas de Métastase, et que Métastase avait le
monopole de la poésie de cour. Il n'était pas sans quelque pressentiment
du peu d'habileté que Consuelo avait mis à capter les bonnes grâces de la
souveraine, et il ne pouvait s'empêcher de lui en témoigner de l'humeur.
Pour surcroît de malheur, l'ambassadeur de Venise avait eu l'imprudence,
un jour qu'il le voyait enflammé de joie et d'orgueil pour le rapide
développement que prenait entre ses mains l'intelligence musicale de Joseph
Haydn, de lui apprendre toute la vérité sur ce jeune homme, et de lui
montrer ses jolis essais de composition instrumentale, qui commençaient à
circuler et à être remarqués chez les amateurs. Le maestro s'écria qu'il
avait été trompé, et entra dans une fureur épouvantable. Heureusement
il ne soupçonna pas que Consuelo fût complice de cette ruse, et M. Corner,
voyant l'orage qu'il avait provoqué, se hâta de prévenir ses méfiances à
cet égard par un bon mensonge. Mais il ne put empêcher que Joseph fût
banni pendant plusieurs jours de la chambre du maître; et il fallut tout
l'ascendant que sa protection et ses service lui donnaient sur ce dernier,
pour que l'élève rentrât en grâce. Porpora ne lui en garda pas moins
rancune pendant longtemps, et l'on dit même qu'il se plut à lui faire
acheter ses leçons par l'humiliation d'un service de valet plus minutieux
et plus prolongé qu'il n'était nécessaire, puisque les laquais de
l'ambassadeur étaient à sa disposition. Haydn ne se rebuta pas, et, à force
de douceur, de patience et de dévouement, toujours exhorté et encouragé par
la bonne Consuelo, toujours studieux et attentif à ses leçons, il parvint à
désarmer le rude professeur et à recevoir de lui tout ce qu'il pouvait et
voulait s'assimiler.
Mais le génie d'Haydn rêvait une route différente de celle qu'on avait
tentée jusque-là, et le père futur de la symphonie confiait à Consuelo
ses idées sur la partition instrumentale développée dans des proportions
gigantesques. Ces proportions gigantesques, qui nous paraissent si simples
et si discrètes aujourd'hui, pouvaient passer, il y a cent ans, pour
l'utopie d'un fou aussi bien que pour la révélation d'une nouvelle ère
ouverte au génie. Joseph doutait encore de lui-même, et ce n'était pas sans
terreur qu'il confessait bien bas à Consuelo l'ambition qui le tourmentait.
Consuelo en fut aussi un peu effrayée d'abord. Jusque-là, l'instrumentation
n'avait eu qu'un rôle secondaire, ou, lorsqu'elle s'isolait de la voix
humaine, elle agissait sans moyens compliqués. Cependant il y avait tant de
calme et de douceur persévérante chez son jeune confrère, il montrait dans
toute sa conduite, dans toutes ses opinions une modestie si réelle et une
recherche si froidement consciencieuse de la vérité, que Consuelo, ne
pouvant se décider à le croire présomptueux, se décida à le croire sage et
à l'encourager dans ses projets. Ce fut à cette époque que Haydn composa
une sérénade à trois instruments, qu'il alla exécuter avec deux de ses amis
sous les fenêtres des _dilettanti_ dont il voulait attirer l'attention
sur ses oeuvres. Il commença par le Porpora, qui, sans savoir le nom de
l'auteur ni celui des concertants, se mit à sa fenêtre, écouta avec plaisir