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aussi, et qui était dans le secret, se tint sur ses gardes, et ne trahit
pas le jeune compositeur. Porpora ne voulait pas qu'en prenant ses leçons
de chant on se laissât distraire par d'autres pensées.
A cette époque, le Porpora reçut une lettre de l'excellent contralto
Hubert, son élève, celui qu'on appelait le Porporino, et qui était attaché
au service de Frédéric le Grand. Cet artiste éminent n'était pas, comme
les autres élèves du professeur, infatué de son propre mérite, au point
d'oublier tout ce qu'il lui devait. Le Porporino avait reçu de lui un
genre de talent qu'il n'avait jamais cherché à modifier, et qui lui avait
toujours réussi: c'était de chanter d'une manière large et pure, sans
créer d'ornements, et sans s'écarter des saines traditions de son maître.
Il était particulièrement admirable dans l'adagio. Aussi le Porpora
avait-il pour lui une prédilection qu'il avait bien de la peine à cacher
devant les admirateurs fanatiques de Farinelli et Caffariello. Il convenait
bien que l'habileté, le brillant, la souplesse de ces grands virtuoses
jetaient plus d'éclat, et devaient transporter plus soudainement un
auditoire avide de merveilleuses difficultés; mais il disait tout bas
que son Porporino ne sacrifiait jamais au mauvais goût, et qu'on ne se
lassait jamais de l'entendre, bien qu'il chantât toujours de la même
manière. Il paraît que la Prusse ne s'en lassa point en effet, car il y
brilla pendant toute sa carrière musicale, et y mourut fort vieux, après
un séjour de plus de quarante ans.
La lettre d'Hubert annonçait au Porpora que sa musique était fort goûtée
à Berlin, et que s'il voulait venir l'y rejoindre, il se faisait fort de
faire admettre et représenter ses compositions nouvelles. Il l'engageait
beaucoup à quitter Vienne, où les artistes étaient en butte à de
perpétuelles intrigues de coteries et à _recruter_ pour la cour de Prusse
une cantatrice distinguée qui pût chanter avec lui les opéras du maestro.
Il faisait un grand éloge du goût éclairé de son roi, et de la protection
honorable qu'il accordait aux musiciens. «Si ce projet vous sourit,
disait-il en finissant sa lettre, répondez-moi promptement quelles sont
vos prétentions, et d'ici à trois mois, je vous réponds de vous faire
obtenir des conditions qui vous procureront enfin une existence paisible.
Quant à la gloire, mon cher maître, il suffira que vous écriviez pour que
nous chantions de manière à vous faire apprécier, et j'espère que le bruit
en ira jusqu'à Dresde.»
Cette dernière phrase fit dresser les oreilles au Porpora comme à un vieux
cheval de bataille. C'était une allusion aux triomphes que Hasse et ses
chanteurs obtenaient à la cour de Saxe. L'idée de contre-balancer l'éclat
de son rival dans le nord de la Germanie sourit tellement au maestro, et il
éprouvait en ce moment tant de dépit contre Vienne, les Viennois et leur
cour, qu'il répondit sans balancer au Porporino, l'autorisant à faire des
démarches pour lui à Berlin. Il lui traça son _ultimatum_, et il le fit
le plus modeste possible, afin de ne pas échouer dans son espérance. Il lui
parla de la Porporina avec les plus grands éloges, lui disant, qu'elle
était sa soeur, et par l'éducation, et par le génie, et par le coeur,
comme elle l'était par le surnom, et l'engagea à traiter de son engagement
dans les meilleures conditions possibles; le tout sans consulter Consuelo,
qui fut informée de cette nouvelle résolution après le départ de la lettre.