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à la hâte dans son sein, et la lettre d'Albert, et la réponse qu'elle avait
commencée. De toute la journée elle ne retrouva pas un instant de loisir et
de sécurité. Il semblait que le vieux sournois eût deviné le désir qu'elle
avait d'être seule, et qu'il prît à tâche de s'y opposer. La nuit venue,
Consuelo se sentit plus calme, et comprit qu'une détermination aussi grave
demandait une plus longue épreuve de ses propres émotions. Il ne fallait
pas exposer Albert aux funestes conséquences d'un retour sur elle-même;
elle relut cent fois la lettre du jeune comte, et vit qu'il craignait
également de sa part la douleur d'un refus et la précipitation d'une
promesse. Elle résolut de méditer sa réponse pendant plusieurs jours;
Albert lui-même semblait l'exiger.
La vie que Consuelo menait alors à l'ambassade était fort douce et fort
réglée. Pour ne pas donner lieu à de méchantes suppositions, Corner eut
la délicatesse de ne jamais lui rendre de visites dans son appartement et
de ne jamais l'attirer, même en société du Porpora, dans le sien. Il ne la
rencontrait que chez madame Wilhelmine, où il pouvait lui parler sans la
compromettre, et où elle chantait obligeamment en petit comité. Joseph
aussi fut admis à y faire de la musique. Caffariello y venait souvent,
le comte Hoditz quelquefois, et l'abbé Métastase rarement. Tous trois
déploraient que Consuelo eût échoué, mais aucun d'eux n'avait eu le courage
ou la persévérance de lutter pour elle. Le Porpora s'en indignait et avait
bien de la peine à le cacher. Consuelo s'efforçait de l'adoucir et de lui
faire accepter les hommes avec leurs travers et leurs faiblesses. Elle
l'excitait à travailler, et, grâce à elle, il retrouvait de temps à autre
quelques lueurs d'espoir et d'enthousiasme. Elle l'encourageait seulement
dans le dépit qui l'empêchait de la mener dans le monde pour y faire
entendre sa voix. Heureuse d'être oubliée de ces grands qu'elle avait
aperçus avec effroi et répugnance, elle se livrait à de sérieuses études,
à de douces rêveries, cultivait l'amitié devenue calme et sainte du bon
Haydn, et se disait chaque jour, en soignant son vieux professeur, que la
nature, si elle ne l'avait pas faite pour une vie sans émotion et sans
mouvement, l'avait faite encore moins pour les émotions de la vanité et
l'activité de l'ambition. Elle avait bien rêvé, elle rêvait bien encore
malgré elle, une existence plus animée, des joies de coeur plus vives,
des plaisirs d'intelligence plus expansifs et plus vastes; mais le monde
de l'art qu'elle s'était créé si pur, si sympathique et si noble, ne se
manifestant à ses regards que sous des dehors affreux, elle préférait une
vie obscure et retirée, des affections douces, et une solitude laborieuse.
Consuelo n'avait point de nouvelles réflexions à faire sur l'offre des
Rudolstadt. Elle ne pouvait concevoir aucun doute sur leur générosité, sur
la sainteté inaltérable de l'amour du fils, sur la tendresse indulgente du
père. Ce n'était plus sa raison et sa conscience qu'elle devait interroger.
L'une et l'autre parlaient pour Albert. Elle avait triomphé cette fois sans
effort du souvenir d'Anzoleto. Une victoire sur l'amour donne de la force
pour toutes les autres. Elle ne craignait donc plus la séduction, elle se
sentait désormais à l'abri de toute fascination... Et, avec tout cela,
la passion ne parlait pas énergiquement pour Albert dans son âme.
Il s'agissait encore et toujours d'interroger ce coeur au fond duquel
un calme mystérieux accueillait l'idée d'un amour complet. Assise à sa