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de sa chambre et la regarder d'un air sévère.
«Que cherches-tu? lui dit-il.
--Une feuille de musique que j'ai égarée.
--Tu mens: tu cherches une lettre.
--Maître...
--Tais-toi, Consuelo; tu ne sais pas encore mentir: ne l'apprends pas.
--Maître, qu'as-tu fait de cette lettre?
--Je l'ai remise à Keller.
--Et pourquoi... pourquoi la lui as-tu remise, maître?
--Parce qu'il venait la chercher, tu le lui avais recommandé hier. Tu ne
sais pas feindre, Consuelo, ou bien j'ai encore l'oreille plus fine que tu
ne penses.
--Et enfin, dit Consuelo avec résolution, qu'as-tu fait de ma lettre?
--Je te l'ai dit; pourquoi me le demandes-tu encore? J'ai trouvé fort
inconvenant qu'une jeune fille, honnête comme tu l'es, et comme je présume
que tu veux l'être toujours, remit en secret des lettres à son perruquier.
Pour empêcher cet homme de prendre une mauvaise idée de toi, je lui ai
remis la lettre d'un air calme, et l'ai chargé de ta part de la faire
partir. Il ne croira pas, du moins, que tu caches à ton père adoptif un
secret coupable.
--Maître, tu as raison, tu as bien fait... pardonne-moi!
--Je te pardonne, n'en parlons plus.
--Et... tu as lu ma lettre? ajouta Consuelo d'un air craintif et caressant.
--Pour qui me prends-tu! répondit le Porpora d'un air terrible.
--Pardonne-moi tout cela, dit Consuelo en pliant le genou devant lui et en
essayant de prendre sa main; laisse-moi t'ouvrir mon coeur...
--Pas un mot de plus! répondit le maître en la repoussant.»
Et il entra dans sa chambre, dont il ferma la porte sur lui avec fracas.
Consuelo espéra que, cette première bourrasque passée, elle pourrait
l'apaiser et avoir avec lui une explication décisive. Elle se sentait la
force de lui dire toute sa pensée, et se flattait de hâter par là l'issue
de ses projets; mais il se refusa à toute explication, et sa sévérité
fut inébranlable et constante sous ce rapport. Du reste, il lui témoigna
autant d'amitié qu'à l'ordinaire, et même, à partir de ce jour, il eut plus
d'enjouement dans l'esprit, et de courage dans l'âme. Consuelo en conçut
un bon augure, et attendit avec confiance la réponse de Riesenburg.
Le Porpora n'avait pas menti, il avait brûlé les lettres de Consuelo sans
les lire; mais il avait conservé l'enveloppe et y avait substitué une
lettre de lui-même pour le comte Christian. Il crut par cette démarche
courageuse avoir sauvé son élève, et préservé le vieux Rudolstadt d'un
sacrifice au-dessus de ses forces. Il crut avoir rempli envers lui le
devoir d'un ami fidèle, et envers Consuelo celui d'un père énergique et
sage. Il ne prévit pas qu'il pouvait porter le coup de la mort au comte
Albert. Il le connaissait à peine, il croyait que Consuelo avait exagéré;
que ce jeune homme n'était ni si épris ni si malade qu'elle se l'imaginait;
enfin il croyait, comme tous les vieillards, que l'amour a un terme et que
le chagrin ne tue personne.
XCIII.
Dans l'attente d'une réponse qu'elle ne devait pas recevoir, puisque le